Molotov, marteau et faucille : une farce politique à la sauce indonésienne
On croyait le spectre du Parti communiste indonésien (PKI) définitivement enterré sous des tonnes de propagande et de répression depuis plus d’un demi-siècle. Et pourtant, voilà qu’il ressurgit, non pas des profondeurs de l’histoire, mais d’un carton opportunément retrouvé à Samarinda, soigneusement orné de l’incontournable symbole du marteau et de la faucille. Coïncidence ? Plutôt un mauvais scénario de théâtre policier, une pièce montée qui aurait du mal à convaincre même le spectateur le plus naïf.
Le décor : un campus, des Molotov et un carton bien trop bavard
Fin août 2025, la police et l’armée annoncent avoir découvert vingt-sept cocktails Molotov, déjà assemblés, dissimulés dans un local étudiant. Jusque-là, l’affaire aurait pu sembler sérieuse. Mais voilà : les engins incendiaires étaient stockés dans un carton décoré du logo du PKI. Comme si des activistes clandestins, censés opérer dans le plus grand secret, avaient jugé utile de signer leur forfait du sceau le plus compromettant de l’histoire politique indonésienne.
La mise en scène : l’ombre du « complot rouge »
Ce détail grotesque a suffi pour relancer le vieux réflexe sécuritaire : réveiller le fantôme du communisme afin de légitimer la répression et d’inquiéter l’opinion publique. Pourtant, le PKI a été écrasé en 1965–1966, ses membres massacrés ou emprisonnés, ses réseaux démantelés. Cinquante-neuf ans plus tard, il faudrait croire qu’un groupuscule d’étudiants aurait décidé de se lancer dans la lutte armée avec des bouteilles d’essence et un drapeau poussiéreux. La dramaturgie policière se révèle ici plus risible qu’effrayante.
La continuité historique : le communisme comme alibi éternel
Pour justifier cette trouvaille théâtrale, on invoque le sempiternel « penumpang gelap » — l’« infiltrateur » qui manipulerait les manifestations étudiantes pour les transformer en chaos. C’est une vieille ficelle du théâtre politique indonésien : discréditer toute contestation sociale en l’associant à des forces obscures, souvent imaginaires. Ainsi, au lieu de débattre des revendications réelles — corruption, inégalités, autoritarisme croissant — on agite l’épouvantail d’une menace subversive.
Cette mise en scène rappelle étrangement les années Suharto, où l’évocation du PKI suffisait à justifier n’importe quelle arrestation, n’importe quelle censure. Un demi-siècle après, le scénario reste le même : fabriquer un danger pour détourner l’attention des responsabilités bien réelles — celles de l’État face aux crises sociales et politiques.
Une farce aux conséquences sérieuses
Si l’affaire prête à sourire par son côté grossièrement arrangé, ses effets ne sont pas anodins. Elle salit l’image des étudiants, stigmatise à nouveau le communisme comme menace fantôme, et entretient la peur au sein de la population. C’est une tragédie comique : on rit du ridicule de la mise en scène, mais on pleure de voir la vie démocratique enchaînée à des fantômes fabriqués de toutes pièces.
La découverte de ces Molotov ornés d’un emblème PKI ne révèle pas la résurgence d’un parti disparu depuis plus de cinquante ans. Elle illustre plutôt la créativité persistante des appareils de sécurité dans l’art de la diversion politique.
Plus qu’un complot, nous avons là une farce mal jouée, un théâtre d’ombres où l’ennemi est ressuscité à volonté. En Indonésie, il semble qu’il soit toujours plus commode de convoquer les spectres du passé que d’affronter les urgences du présent.
Source :
https://www.netralnews.com/molotov-samarinda-dan-simbol-pki-siapa-penumpang-gelap-di-balik-rencana-rusuh/YlFDNHBKU3YyOWp3UWJrVDVsdDN6dz09