Radio-crevettes indonésiennes : quand le ministre rassure en riant jaune
En Indonésie, la polémique autour des crevettes contaminées au césium-137 prend une tournure qui frôle l’absurde. Les États-Unis ont renvoyé certaines cargaisons suspectes, mais pour le ministre coordinateur de l'Alimentation, Zulkifli Hasan (Zulhas), pas de quoi s’inquiéter : ces crevettes seraient tout à fait comestibles, à condition bien sûr que leur radioactivité reste en dessous du seuil magique de 500 becquerels par kilo, la norme indonésienne. En clair, tant que ça crépite à peine au compteur Geiger, vous pouvez les faire griller sans scrupule.
Il faut avouer que l’argument prête à sourire. Le discours rassurant ressemble à une publicité inventée : « Crevettes garanties non trop radioactives, un goût qui rayonne juste ce qu’il faut. » On imagine déjà le slogan collé sur les marchés de Jakarta, avec une crevette phosphorescente clignotant dans la nuit. Car, après tout, pourquoi jeter un produit qui n’explose pas encore au visage du consommateur ? Si c’est en dessous de la norme, c’est que ça doit être bon.
Cette façon de réduire la contamination à une question de chiffres ressemble à un tour de passe-passe administratif. À 68 becquerels, pas de problème. À 300, toujours bon. À 499, parfait. Mais à 501, soudainement dangereux, à détruire sans délai. Comme si le corps humain, poli et discipliné, savait s’arrêter exactement au seuil réglementaire avant de décider que non, là, c’est trop. Les autorités indonésiennes se posent alors en arbitres suprêmes du danger, un peu comme des chefs de cuisine nucléaire décidant de la dose de radiations qui donne du goût sans provoquer de cancer.
Et pourtant, derrière le sourire du ministre, il y a une inquiétude sourde. Car si les crevettes sont vraiment « sûres », pourquoi les Américains n’en veulent-ils plus ? Pourquoi ce ballet d’examens, de contre-expertises, de seuils chiffrés ? Dire que tout va bien en dessous d’une certaine limite, c’est demander au citoyen d’accepter de manger du poison dilué, avec la promesse qu’il n’y en a pas trop. On ne rassure pas, on banalise.
Zulhas affirme que tout cela ne concerne qu’une usine de Cikande, comme si la radioactivité avait la décence de ne pas voyager, de rester sagement confinée à un entrepôt. L’affaire devient alors une fable politique : tout est sous contrôle, la nation continue de produire, et le consommateur n’a qu’à fermer les yeux et ouvrir la bouche. En Indonésie, on a inventé la cuisine au césium light, certifiée « en dessous du seuil ».
La leçon est simple : quand un ministre vous dit que des crevettes radioactives sont sans danger, c’est peut-être vrai sur le papier. Mais c’est surtout une brillante démonstration d’humour noir involontaire, une façon de transformer une crise sanitaire potentielle en sketch. Après les crevettes bio, les crevettes surgelées et les crevettes tigrées, voici donc la nouvelle spécialité nationale : les crevettes faiblement radioactives, un mets qui brille d’un éclat tout particulier.
Source :
https://money.kompas.com/read/2025/09/30/184700026/zulhas-sebut-udang-yang-terkontaminasi-radioaktif-aman-dikonsumsi-asalkan?page=all