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Billet de blog 2 août 2025

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Indonésie, 17 août 1945 : le jour où une jeunesse força l’Histoire

Ils n’ont pas attendu l’autorisation des vainqueurs. Le 17 août 1945, à Jakarta, l’Indonésie proclame son indépendance. Une poignée de jeunes militants a forcé le destin. Le colonialisme vacille, et un pays naît dans l’urgence, la foi et le refus de la soumission.

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Indonésie, 17 août 1945 : le jour où une jeunesse força l’Histoire

Par un matin calme à Jakarta, en plein mois de Ramadan, deux hommes se tiennent debout sur le perron d’une modeste maison de la rue Pegangsaan Timur.

Le soleil tape fort déjà. L’un d’eux, Soekarno, lit d’une voix posée un court texte qui va bouleverser l’ordre du monde. Il est 10h, ce 17 août 1945. L’Indonésie vient de naître.

Dans une ville encore marquée par trois années d’occupation japonaise et plus de trois siècles de présence néerlandaise, la scène paraît presque banale. Pas de tambours, pas d’armée, pas de cortège. Seulement quelques dizaines de personnes rassemblées dans une cour sablonneuse. Et pourtant, ce matin-là, un pays entier vient de changer de destin.

Un éclair dans le silence colonial

Soekarno, l’orateur au charisme flamboyant, proclame avec son compagnon Mohammad Hatta l’indépendance de la République d’Indonésie. Le texte est bref, une cinquantaine de mots à peine, mais il résonne comme une bombe dans l’écho du monde d’après-guerre.

« Nous, le peuple indonésien, proclamons par la présente l’indépendance de l’Indonésie. »

Deux jours plus tôt, le Japon capitulait, mettant fin à la Seconde Guerre mondiale. La défaite de l’Empire nippon ouvrait un vide de pouvoir à travers toute l’Asie. Un entre-deux fragile, où les Alliés n’avaient pas encore posé le pied, où les anciennes puissances coloniales tentaient de reprendre la main. Mais à Jakarta, l’histoire avait décidé d’aller plus vite que les tractations diplomatiques.

Soekarno le savait : « Il n’y avait pas de moment idéal. Mais il y avait un moment juste. »

Rengasdengklok, ou l’audace d’une génération

Si cette proclamation a eu lieu, c’est en grande partie grâce à une poignée de jeunes révolutionnaires. Dans la nuit du 15 août, convaincus que Soekarno et Hatta tardaient à agir, ils prennent une décision audacieuse : enlever les deux leaders nationalistes et les emmener de force à Rengasdengklok, un village à quelques heures de Jakarta.

« Ils avaient peur que nous hésitions trop longtemps, que les Alliés viennent reprendre le contrôle, que les Néerlandais reviennent comme si de rien n’était », racontera plus tard Hatta.

Ces jeunes – on les appelle les pemuda – ne veulent pas attendre une permission. Ni celle des Japonais vaincus, ni celle des puissances occidentales. Leur message est clair : le moment d’agir, c’est maintenant. Le 17 août, à l’aube, Soekarno et Hatta rentrent à Jakarta. À 10h précises, la déclaration est lue. L’Indonésie vient de franchir un point de non-retour.

La première flamme d’Asie du Sud-Est

Ce jour-là, l’Indonésie devient, avec le Vietnam de Ho Chi Minh (qui proclamera l’indépendance le 2 septembre à Hanoï), l’un des deux premiers pays d’Asie du Sud-Est à s’émanciper des puissances coloniales après la Seconde Guerre mondiale. Avant la Birmanie. Avant les Philippines. Avant l’Inde même.

C’est un choc dans les chancelleries occidentales. Les Pays-Bas, qui comptaient bien reprendre possession de leur Indes orientales, refusent de reconnaître cette déclaration unilatérale. Ils reviendront avec des armes, des troupes, des avions. Une guerre de quatre ans s’ensuivra. Elle fera des dizaines de milliers de morts et ne s’achèvera qu’en décembre 1949, lorsque La Haye finira par reconnaître, sous la pression internationale, la souveraineté de l’Indonésie.

Mais dans les faits, tout avait commencé ce 17 août 1945, dans une maison blanche aux volets ouverts sur le monde.

Une légende dorée cousue de mains de femme

De cet instant est née une mythologie nationale. Une légende dorée, où chaque détail compte. Le drapeau rouge et blanc cousu à la main par Fatmawati, l’épouse de Soekarno, hissé sur un poteau de bambou devant la foule émue. La voix de Soekarno, grave et mesurée, captée sur bande magnétique, rediffusée chaque année dans les écoles. Le texte tapé à la hâte par un voisin, à la machine. L’annonce fut proclamée sans micro sophistiqué, sans la moindre fanfare, mais portée par une foi inébranlable en la liberté. 

Cette légende n’est pas mensonge. Elle est mémoire. Elle est aussi simplification. Car l’indépendance n’a pas été un fleuve tranquille. Les factions, les hésitations, les répressions, les compromis parfois douloureux, font partie du tableau.

Mais ce 17 août-là, c’est un peuple entier qui s’est senti debout. Et surtout, une jeunesse qui s’est reconnue actrice de son histoire.

L’acte fondateur d’un monde nouveau

L’indépendance indonésienne, bien plus qu’un moment national, fut un signal pour tous les peuples colonisés. Un acte de courage, et une démonstration de ce que pouvait être un monde post-colonial : non pas l’attente d’une reconnaissance extérieure, mais l’affirmation d’une dignité retrouvée.

Des années plus tard, lors de la Conférence de Bandung en 1955, Soekarno dira :

« Le colonialisme n’est pas mort. Il a simplement changé de forme. Mais nous avons montré qu’il pouvait être combattu. »

Soixante-dix ans ont passé. Mais chaque 17 août, dans toutes les villes d’Indonésie, on hisse le drapeau rouge et blanc. Et dans le silence du matin, comme un écho du passé, on entend encore la voix d’un homme qui disait, face à un monde incertain :

 « L’indépendance ne peut être obtenue que par une nation dont l’esprit est animé d’une détermination flamboyante »

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