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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 2 août 2025

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Témoins de Jéhovah en Indonésie : entre dissidence civique et stigmatisation sociale

Les Témoins de Jéhovah en Indonésie refusent de participer aux cérémonies patriotiques, notamment le lever du drapeau, ce qui provoque leur stigmatisation, surtout à l’école. Leur pacifisme strict, fondé sur un rejet de la violence, est perçu comme un défi au nationalisme. Ce refus entraîne exclusion, discriminations, et tensions dans une société attachée à ses symboles.

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Témoins de Jéhovah en Indonésie : entre dissidence civique et stigmatisation sociale

Dans les ruelles grouillantes des villes indonésiennes, un groupe religieux attire autant la curiosité que la méfiance : les Témoins de Jéhovah. Leur nom évoque souvent pour beaucoup un mystère, voire un malaise. Peu nombreux mais très actifs, ils refusent de participer aux cérémonies patriotiques et s’abstiennent de toute violence, ce qui dérange un pays où le nationalisme et le respect des symboles d’État sont profondément enracinés.

Une présence discrète mais contestée

Les Témoins de Jéhovah ne sont pas les plus nombreux en Indonésie, mais ils ont fait parler d’eux à plusieurs reprises, notamment à cause de leur refus catégorique de chanter l’hymne national ou de saluer le drapeau. Dans un pays où le lever du drapeau est un rituel quotidien dans presque toutes les écoles, ce rejet est perçu comme un acte de provocation, voire de trahison.

Leurs jeunes membres, souvent adolescents, subissent un véritable calvaire. Exclusion temporaire, brimades, harcèlement, voire pression familiale pour renoncer à leurs croyances : ces enfants paient cher leur refus. Dans certaines écoles, ils sont isolés, regardés comme des étrangers dans leur propre pays. L’incompréhension générée par leur attitude rigide alimente la haine populaire et la stigmatisation.

Pacifisme ou obstination ?

On entend souvent que les Témoins de Jéhovah sont des pacifistes radicaux, des porteurs d’un message de paix universelle. La réalité est plus complexe, parfois sombre. Leur doctrine interdit effectivement toute forme de violence, y compris le service militaire. Mais leur pacifisme n’est pas une invitation à la paix sociale. Au contraire, il leur ferme bien des portes et les expose à des conflits incessants avec la société indonésienne.

Le refus de participer aux cérémonies patriotiques, par exemple, n’est pas qu’une question spirituelle : c’est un rejet clair des normes civiques, un refus de se plier aux règles du vivre-ensemble. Dans un pays où la cohésion nationale est un enjeu vital, cette posture leur vaut le rejet massif, tant dans les écoles que dans leurs quartiers.

Des pratiques contestées, parfois extrêmes

Le refus des transfusions sanguines — une pratique bien connue des Témoins de Jéhovah — met en danger la vie de certains membres, notamment des enfants. En Indonésie, où le système médical est souvent sous pression, cela pose un véritable casse-tête aux hôpitaux et aux familles. Des cas ont été signalés où des enfants sont morts faute de recevoir une transfusion, provoquant scandales et polémiques.

Mais les critiques ne s’arrêtent pas là. À l’intérieur même du groupe, la discipline est rigoureuse. Tout écart aux règles peut entraîner l’exclusion pure et simple, coupant le membre réprouvé de toute vie sociale et familiale. Cette forme d’isolement rappelle à certains observateurs les pratiques sectaires, voire coercitives.

Entre liberté religieuse et rejet social

En théorie, la liberté religieuse est garantie par la Constitution indonésienne ; en pratique, elle demeure fragile pour des minorités comme les Témoins de Jéhovah.

Leur refus catégorique de participer à certains rituels patriotiques les a exposés à des sanctions, voire à une exclusion du système scolaire, comme en témoignent les cas survenus en 2019 à l’île de Batam et en 2021 à Tarakan, dans la province du Kalimantan Nord.

Ce fossé entre les normes civiques dominantes et leur foi alimente la stigmatisation, faisant d’eux des boucs émissaires faciles dans une société où la tolérance envers la différence semble s’éroder.

Un groupe qui dérange

Cela dit, les Témoins de Jéhovah en Indonésie ne sont ni de simples héros pacifistes, ni des victimes innocentes. Ils incarnent un défi majeur : celui d’un groupe minoritaire qui, par ses pratiques strictes et son refus des compromis, se heurte frontalement à une société où l’obéissance aux symboles nationaux est presque sacrée.

Leur situation soulève des questions fondamentales sur la tolérance, la liberté de conscience et les limites de la diversité religieuse dans une nation encore très attachée à son unité symbolique. En Indonésie, refuser de chanter l’hymne ou de saluer le drapeau ne relève pas seulement du choix spirituel : c’est un acte qui dérange, provoque et divise.

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