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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 3 août 2025

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Les blessures de la Papouasie occidentale : un silence qui pourrit

Depuis plus de soixante ans, la Papouasie occidentale, territoire intégré à l’Indonésie en 1963, demeure le théâtre d’un malaise profond, entre marginalisation persistante et quête de reconnaissance. Derrière le discours officiel sur l’unité nationale, des voix s’élèvent pour rappeler une histoire douloureuse, encore marquée par les silences, les tensions et l’absence de dialogue sincère.

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Les blessures de la Papouasie occidentale : un silence qui pourrit

Depuis son intégration contestée à l’Indonésie en 1963, la Papouasie occidentale ne cesse de souffrir dans un silence assourdissant. Cette région, riche en ressources mais marginalisée politiquement, culturellement et économiquement, incarne l'une des blessures les plus profondes de l’archipel indonésien. Loin de se refermer, la plaie s’infecte et suppure, nourrie par l’absence de dialogue, la répression militaire et une mémoire historique jamais reconnue.

Dans un article poignant intitulé "La blessure papoue est déjà gangrenée et purulente" publié en mai 2025 sur le site Siaran Indonesia, les auteurs dénoncent cette pourriture lente qui ronge la conscience nationale. La Papouasie n’est pas seulement une zone périphérique négligée ; elle est devenue le miroir d’un État qui refuse de se confronter à ses propres violences, que beaucoup qualifient de coloniales. 

Des voix papoues étouffées, des journalistes expulsés

Parmi ceux qui ont tenté de porter cette réalité à la connaissance du monde, le pasteur baptiste Socratez Sofyan Yoman figure en première ligne. Défenseur infatigable des droits du peuple papou, il a été interviewé en 2015 par Cyril Payen, journaliste de France 24, dans un documentaire intitulé "La guerre oubliée des Papous". À travers des témoignages recueillis sur le terrain, Payen révélait les abus de l’armée, le racisme systémique et la marginalisation structurelle des populations autochtones.

La réponse des autorités fut immédiate : 

Après la diffusion de son reportage, l’ambassadeur de France a été convoqué par le ministère indonésien des Affaires étrangères. En novembre 2015, les autorités indonésiennes ont déclaré Cyril Payen persona non grata. L’année suivante, sa demande de visa a été refusée, sous prétexte qu’il portait atteinte à l’image de l’unité nationale. Ce refus a largement été interprété comme une mesure de représailles liée à son travail d’investigation sur la situation Papoue.

Il n’est pas un cas isolé. Philippe Pataud Célérier, auteur de plusieurs enquêtes sur la Papouasie, le cinéaste Damien Faure, ainsi que Valentine Bourrat et Thomas Dandois, journalistes français pour la chaîne ARTE arrêtés en 2014 à Jayapura pour avoir filmé sans autorisation officielle, ont eux aussi fait face à une censure sévère de la part d’un État obsédé par le contrôle de son image à l’international.

Cette criminalisation du journalisme d’investigation illustre parfaitement le degré de verrouillage du territoire papou — sur les plans militaire, médiatique et historique.

Gracier pour mieux emprisonner ?

Cela dit, tout récemment, dans une tentative manifestement cosmétique, le président indonésien Prabowo Subianto s’apprête à gracier 1 178 prisonniers, parmi lesquels figurent des militants indépendantistes papous, sans pour autant remettre en cause la criminalisation persistante de la dissidence.

Beaucoup y voient une manœuvre calculée pour apaiser les critiques internationales, sans jamais affronter les causes profondes du conflit. Certains anciens détenus ont d’ailleurs été arrêtés à nouveau, comme si la grâce n'était qu’un outil de manipulation politique.

Un demi-siècle de répression passée sous silence

Car le vrai problème reste entier : l’intégration de la Papouasie en 1963 s’est faite sans consentement populaire. Ce que l’on a appelé "acte de libre choix" de 1969 s’est en réalité déroulé dans un climat loin d’être libre : sous supervision internationale, mais dans des conditions largement contrôlées par l’armée indonésienne, seuls 1 025 représentants papous — soigneusement sélectionnés parmi une population d’environ 800 000 personnes — furent amenés à voter à main levée, dans un contexte de pression politique et militaire.

Depuis, le conflit s’est aggravé. La militarisation du territoire s’est intensifiée, et des milliers de Papous ont été victimes de violences, de déplacements forcés et de disparitions. Selon plusieurs organisations de défense des droits humains, entre 100 000 et 500 000 civils papous auraient péri au cours d’une vingtaine d’opérations militaires lancées par Jakarta. Malgré ces chiffres alarmants, le drame papou reste largement ignoré par la communauté internationale.

Résister pour exister

Ce que les Papous réclament aujourd'hui n’est pas qu’un drapeau ou une séparation. Ils demandent que l’histoire soit dite, que leurs morts soient comptés, que leurs voix soient entendues. Tant que cette mémoire restera réprimée, et que des journalistes étrangers seront expulsés ou emprisonnés pour avoir simplement fait leur travail, la Papouasie continuera d’incarner une tache indélébile sur la démocratie indonésienne.

La France a vu en Cyril Payen, Pataud Célérier, Faure, Bourrat et Dandois des témoins courageux. L’Indonésie y a vu des menaces. Cette différence de regard dit tout du chemin qu’il reste à parcourir.

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