Après le communisme, l’anarchisme : Bandung au cœur des luttes étudiantes
À Bandung, la fumée des grenades lacrymogènes flotte encore. Devant l’Université Islamique (UNISBA) et l’Université Pasundan (UNPAS), les étudiants courent, toussent, se couvrent le visage pour échapper aux volées de gaz. Selon leurs propres témoignages, soixante cartouches auraient été ramassées dans l’enceinte des campus, preuve tangible d’une répression qui a franchi les grilles de l’université. La police, de son côté, assure que ses tirs visaient des « éléments extérieurs ». Mais la jeunesse de Bandung a le sentiment amer d’être devenue la cible d’un pouvoir qui redoute l’esprit contestataire.
Bandung, berceau des idées radicales
Ce n’est pas un hasard si ces affrontements se produisent à Bandung. Depuis l’époque coloniale, cette ville de l’Ouest javanais est un foyer de ferment politique. C’est ici que le jeune Soekarno, futur père de l’indépendance, a forgé sa conscience révolutionnaire, mêlant nationalisme, marxisme et islam progressiste. Et c’est encore ici qu’en 1955 s’est tenue la Conférence afro-asiatique, moment fondateur du tiers-mondisme, qui a proclamé au monde la volonté des peuples colonisés de tracer leur propre chemin.
Cette mémoire confère à Bandung une aura singulière : ville universitaire, mais surtout cité-matrice des révoltes et des utopies, laboratoire de toutes les avant-gardes.
L’anarchisme, nouvel épouvantail
Soixante-dix ans après la Conférence, un autre récit circule : celui de l’« anarko ». Les autorités affirment que des militants anarchistes se seraient mêlés aux manifestations étudiantes, utilisant les campus comme refuge pour provoquer la police. L’image est frappante : des silhouettes en noir, infiltrant la jeunesse, semant le chaos. Mais derrière cette mise en scène se cache une réalité beaucoup plus modeste.
En Indonésie, les groupes anarchistes existent, mais ils demeurent marginaux. Héritiers des scènes punk et de contre-cultures urbaines, éclatés en petits collectifs sans hiérarchie, ils incarnent davantage une sensibilité libertaire qu’une force politique organisée. Leur présence dans les manifestations est réelle, mais loin d’être déterminante.
Après le communisme, un nouvel ennemi intérieur
Le schéma, pourtant, est familier. Pendant des décennies, le communisme a servi de bouc émissaire commode, justifiant purges, surveillance et répression. Aujourd’hui, le spectre du « komunis » ne mobilise plus autant les foules. Alors, c’est l’« anarko » qui prend le relais. Quelques slogans radicaux suffisent pour transformer un mouvement marginal en menace nationale.
L’anarchisme devient ainsi moins une réalité sociologique qu’un outil rhétorique. Il permet d’habiller la répression d’un vernis de légitimité, de désigner un ennemi intérieur là où il n’y a souvent que colère sociale et revendications étudiantes.
Les étudiants dans la ligne de mire
Ce sont eux, pourtant, qui paient le prix fort. Coincés entre les accusations d’infiltration et la brutalité policière, les étudiants découvrent que la simple présence sur un campus contestataire suffit à les transformer en suspects. Les universités, autrefois sanctuaires du savoir et creusets de la pensée critique, deviennent des champs de bataille saturés de gaz lacrymogène.
Cette situation révèle un dilemme plus large : dans une Indonésie en proie aux crispations autoritaires, chaque expression de radicalité est désormais suspecte, chaque mouvement de jeunesse scruté à travers le prisme de la menace.
Bandung, mémoire et présent
L’histoire de Bandung montre combien cette ville a souvent été un lieu central de contestation et d’idées d’émancipation. Mais l’épisode de septembre 2025 souligne un contraste : la cité qui fut le berceau de l’anti-colonialisme et du tiers-mondisme devient aujourd’hui le théâtre de tensions où les étudiants sont confrontés à la répression.
L’anarchisme indonésien existe, certes, mais il demeure fragile et marginal. Le vrai enjeu n’est pas son poids réel, mais la facilité avec laquelle il est instrumentalisé comme spectre commode. Après le communisme, l’anarchisme sert de nouvel écran à la peur du pouvoir. Et si Bandung nous enseigne quelque chose, c’est bien ceci : ce sont moins les idées radicales qui inquiètent par leur force, que l’État qui tremble devant leur simple évocation.
Source :
https://www.tempo.co/politik/mendiktisaintek-penembakan-gas-air-mata-di-unisba-adalah-serangan-terhadap-kampus-2066025