Les mensonges honorés : réflexion sur la politique et la souveraineté populaire
Mark Twain, avec son ironie tranchante, affirmait que la politique est le seul métier où l’on peut mentir, tromper, voler, voire tuer, tout en continuant à recevoir les honneurs. Cette sentence, qui résonne comme une provocation, contient pourtant une vérité amère sur l’état de nos démocraties modernes : l’impunité des élites et la fragilité de la souveraineté populaire.
La normalisation du vice
Ce que Twain pointe du doigt, c’est l’inversion des valeurs. Dans toute autre sphère de la vie sociale, mentir ou voler conduit à la perte de réputation et parfois à la prison. Mais dans l’arène politique, ces pratiques se voient souvent justifiées par le vocabulaire de la « raison d’État », de la « stratégie » ou de la « diplomatie ». Ainsi, le mensonge devient « communication », la tromperie « tactique », le vol « redistribution mal orientée », et même le meurtre peut se dissimuler sous l’euphémisme des « dommages collatéraux ».
L’homme politique incarne alors une figure paradoxale : à la fois serviteur du peuple et manipulateur de son destin. Sa légitimité ne tient pas toujours à la vérité, mais à sa capacité de séduire, d’enrôler, de maîtriser les foules.
La complicité des gouvernés
Mais il serait trop simple de ne voir dans cette situation que la corruption des dirigeants. Comme le soulignait Étienne de La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire, nul tyran ne se maintient sans l’assentiment tacite ou la résignation active de ses sujets. Les peuples, fascinés par l’apparat du pouvoir, habitués au spectacle médiatique, ou paralysés par la peur, finissent par tolérer ce qu’ils condamneraient ailleurs. Ils honorent encore ceux qui les ont trahis, parce qu’ils se sentent impuissants à les démettre.
La réappropriation de la souveraineté
Pourtant, la philosophie politique nous enseigne que la souveraineté n’appartient pas aux gouvernants mais aux gouvernés. Rousseau affirmait avec force que « la souveraineté ne peut être représentée », car elle réside indivisiblement dans le peuple. Quand l’élite confisque cette souveraineté au profit de ses propres privilèges, il revient aux citoyens de la reprendre.
Cela ne signifie pas nécessairement la violence, mais une reconquête des espaces publics : par la vigilance critique, la désobéissance civile, l’organisation collective et la réinvention des institutions. Loin du cynisme, il s’agit d’un travail patient pour rappeler que l’autorité politique ne vaut que si elle reste au service du bien commun.
Vers une dignité citoyenne
Le mot de Mark Twain doit être entendu non seulement comme une satire, mais comme une mise en garde. Tant que nous tolérerons que nos dirigeants mentent, trichent et volent sans conséquence, nous serons complices de leur impunité. Mais le jour où les citoyens cesseront de vénérer les masques du pouvoir et se redresseront pour réclamer leur souveraineté, alors la politique pourra peut-être redevenir ce qu’elle aurait toujours dû être : l’art de vivre ensemble dans la vérité et la justice.