Prabowo, entre les flammes de Jakarta et les canons de Tian’anmen
Trois jours à peine. C’est le laps de temps qui sépare un président acculé par les flammes de la colère populaire d’un chef d’État paradant aux côtés de Xi Jinping et de Vladimir Poutine. Trois jours qui racontent toute l’ambiguïté, toute la fragilité et tout le pari risqué de la politique étrangère indonésienne.
Le pays brûle, le président hésite
À Jakarta, Surabaya, Makassar, Medan, et jusqu’aux petites villes des îles, la rue grondait. Vingt-cinq villes embrasées par la contestation : hausse des indemnités parlementaires, injustice sociale criante, répression policière sanglante.
Un parfum de mai 1998, qui avait précédé la chute de son beau-père, le président-général Suharto, flottait dans l’air. L’Indonésie tremblait, et Prabowo Subianto, militaire aguerri mais président vulnérable, annonçait qu’il renonçait à son voyage à Pékin. « Je reste au chevet de mon peuple », faisait-il dire à ses conseillers.
Un chef d’État debout face à la tempête. Le geste paraissait digne. L’opinion, même critique, semblait y voir une nécessité. Mais ce n’était qu’un premier acte.
La volte-face nocturne
Puis vint la nuit du 2 septembre. Un avion présidentiel, les moteurs chauffés à Halim Perdanakusuma, direction Pékin. Revirement soudain, brutal, presque incompréhensible. Qu’est-ce qui avait changé ? Rien dans la rue. Les manifestations continuaient. Mais à Pékin, l’insistance s’était faite pressante. La Chine voulait ses partenaires sur la tribune de Tian’anmen. L’Indonésie, puissance pivot de l’ASEAN, ne pouvait se faire excuser une deuxième fois.
Prabowo céda. Ou bien choisit-il ce risque calculé : apparaître comme un homme d’État mondial au moment même où sa légitimité nationale vacillait ?
À Pékin, un théâtre géopolitique
3 septembre, place Tian’anmen. Des colonnes de blindés, des missiles balistiques, le ballet des avions de chasse. Et sur la tribune, Xi Jinping, au centre. À sa droite, Vladimir Poutine. À sa gauche, Kim Jong-un. Et, parmi eux, l’Indonésien. Prabowo, en costume gris, figé dans une gravité que les caméras du monde entier captent et scrutent.
Ce n’est plus le président acculé par les émeutes : c’est le dirigeant asiatique qui choisit son camp. Son image devient un symbole. L’Occident y voit une dérive inquiétante. Pékin jubile. Moscou approuve. Jakarta s’interroge.
L’analyse derrière le spectacle
Cette présence raconte plus que mille communiqués.
Sur le plan intérieur, elle est un pari dangereux. Alors que la contestation se poursuit encore dans plusieurs villes d’Indonésie, avec son lot de tensions et de drames humains, le président choisit de se montrer à l’étranger, sous les drapeaux d’une autre puissance. Le contraste reste saisissant, presque déroutant.
Sur le plan régional, elle inscrit l’Indonésie dans une logique d’équilibre nouveau : ne pas dépendre de Washington, mais assumer une proximité symbolique avec l’axe Pékin-Moscou. Une version indonésienne du non-alignement, mais plus tranchée, plus risquée.
Sur le plan personnel, Prabowo joue sa stature : chef contesté à la maison, il veut apparaître comme incontournable sur la scène mondiale. Mais l’histoire retiendra que ce jour-là, il a choisi Tian’anmen plutôt que Jakarta.
Un pari risqué
Il reste à savoir si ce choix sera perçu comme une trahison ou comme un coup de maître. Les prochains jours diront si l’opinion indonésienne lui pardonne ce grand écart. Mais une chose est sûre : en trois jours, Prabowo a montré que son mandat serait une marche constante sur un fil, entre la rue indonésienne et la scène des grandes puissances.
Et dans ce fil tendu, il a choisi — au moins pour une journée — le fracas des chars chinois à la place des cris de ses propres citoyens.