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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 4 juin 2025

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Des Rafales pour la paix ? Le double langage français face à la Papouasie occidentale

Alors que la France revendique sur la scène internationale une diplomatie fondée sur les droits humains, le multilatéralisme et la paix, ses choix en matière de coopération militaire racontent une tout autre histoire. En témoignent les récents contrats d’armement signés avec l’Indonésie, un État accusé de violations graves et répétées des droits fondamentaux en Papouasie occidentale.

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Des Rafales pour la paix ? Le double langage français face à la Papouasie occidentale

Alors que la France revendique sur la scène internationale une diplomatie fondée sur les droits humains, le multilatéralisme et la paix, ses choix en matière de coopération militaire racontent une tout autre histoire. En témoignent les récents contrats d’armement signés avec l’Indonésie, un État accusé de violations graves et répétées des droits fondamentaux en Papouasie occidentale. En vendant quarante-deux avions de chasse Rafale à Jakarta, Paris affirme contribuer à la stabilité de la région indo-pacifique. Mais quelle paix peut-on construire en armant un régime qui, depuis des décennies, réprime violemment ses propres populations autochtones ? C’est ici que le double langage français devient manifeste.

La face cachée de l'intégration Indonesienne 

Depuis l’intégration forcée de la Papouasie occidentale à l’Indonésie en 1963, les Papous vivent sous un régime de contrôle, de militarisation et d’oppression culturelle. Des milliers de personnes ont été tuées, déplacées ou emprisonnées. L’accès à la région est interdit ou sévèrement restreint pour les journalistes internationaux, les ONG et les observateurs indépendants. Les Églises locales, souvent dernier espace de résistance et de protection pour les communautés autochtones, alertent depuis des années sur une situation qui s’apparente à une colonisation interne.

Des rafales pour le silence : quand Paris arme l'impunité 

Face à cette réalité, la France choisit de renforcer ses liens militaires avec Jakarta, sans conditionnalité ni débat démocratique sérieux. La vente des Rafales, présentée comme un acte de modernisation stratégique, renforce l’appareil sécuritaire d’un État autoritaire. Certes, ces avions ne sont pas explicitement destinés à la Papouasie. Mais dans un pays où la frontière entre opérations militaires et maintien de l’ordre est souvent floue, toute capacité de projection et de surveillance devient un outil potentiel de coercition contre les populations civiles.

Plus encore, en intégrant ces contrats dans une stratégie indo-pacifique censée promouvoir la stabilité, la France adopte un prisme géopolitique qui relègue les droits des peuples au second plan. Les Papous, parce qu’ils ne sont ni une puissance économique ni un acteur diplomatique stratégique, deviennent invisibles. Leur souffrance est effacée derrière les logiques d’alliances, de rivalités régionales et de commerce d’armement. La paix invoquée n’est alors plus celle des peuples, mais celle des États, construite sur des silences consentis.

En février 2022, la signature d’un contrat majeur entre Dassault Aviation et le gouvernement indonésien marque une étape supplémentaire dans cette dérive. Quarante-deux Rafales, auxquels s’ajoutent des sous-marins Scorpène, des radars, des technologies duales et d’autres équipements de surveillance, ont été vendus pour plusieurs milliards d’euros. Ces équipements sont présentés comme des outils de coopération stratégique face à la Chine, dans une logique de puissance régionale. Mais ce discours masque une évidence : ces armes renforcent un régime qui mène, dans l’impunité, une politique de répression systématique en Papouasie.

Complicité silencieuse, responsabilité partagée 

Il ne s’agit pas ici d’affirmer que les Rafales bombarderont demain les montagnes papoues. Mais il faut nommer ce que permet la militarisation croissante d’un État accusé de violations graves : un contrôle accru, une capacité de dissuasion contre les dissidences, une surveillance renforcée, et un climat d’intimidation généralisée. Dans un tel contexte, toute aide militaire contribue à pérenniser l’ordre établi, au détriment des voix contestataires, souvent pacifiques, souvent autochtones.

Ce soutien matériel s’accompagne d’un silence diplomatique tout aussi inquiétant. La France, malgré ses discours en faveur des droits humains, n’a jamais exprimé publiquement la moindre préoccupation quant à la situation en Papouasie occidentale. Ni le ministère des Affaires étrangères, ni les représentants français aux Nations Unies ne soulèvent la question. L’effacement de cette crise des radars diplomatiques français relève d’un choix. Un choix dicté par une stratégie indo-pacifique qui considère Jakarta comme un partenaire incontournable. Un choix qui fait écho à des logiques coloniales anciennes : sacrifier les peuples indigènes pour maintenir une stabilité géopolitique favorable aux puissances dominantes.

Ce silence, ce commerce, cette absence de conditionnalité, constituent une complicité. Complicité passive certes, mais complicité réelle. Une complicité d’autant plus insupportable qu’elle vient d’un pays qui se veut le défenseur des droits de l’homme et du droit international. Peut-on prôner la dignité humaine à Genève tout en fournissant des avions de guerre à un régime qui écrase ses populations marginalisées ? Peut-on parler de paix tout en armant ceux qui réduisent au silence les militants, les prêtres, les enseignants, les artistes, les femmes et les jeunes qui osent réclamer justice ?

Assez de silence : l'heure est à la parole et à l'action !

Les principes de la dignité humaine, de la solidarité et du respect des droits des peuples, proclamés aussi bien par les institutions républicaines que par la doctrine sociale de nombreuses traditions religieuses, sont ici gravement mis à mal. Il est temps d’oser une parole éthique, une parole politique, une parole humaine. Le cri des Papous, souvent exprimé à travers des moyens non violents – chants, arts, spiritualités, déclarations communautaires – ne peut plus être ignoré. Il traverse les murs du silence et de l’indifférence.

C’est pourquoi, en tant que citoyens attachés à la paix et à la justice, nous appelons :

– à un moratoire sur toute vente d’armes à l’Indonésie tant que des violations graves des droits humains y sont documentées, notamment en Papouasie occidentale ;

– à la mise en place de mécanismes indépendants de suivi et de transparence dans toute coopération militaire bilatérale avec Jakarta ;

– à une prise de parole officielle de la France sur la situation en Papouasie occidentale, en lien avec les acteurs de terrain, les Églises, les ONG humanitaires et les représentants des peuples autochtones.

Car tant que la France armera en silence, elle restera complice. Et cette complicité affaiblira sa crédibilité sur la scène mondiale, tout en participant à la disparition lente d’un peuple oublié.

Il est encore temps de rompre avec l’aveuglement stratégique. De regarder en face nos responsabilités. Et de bâtir une diplomatie à la hauteur des principes que nous affirmons défendre.

Articles complémentaires

Mediapart - Dossier Papouasie occidentale :

https://www.mediapart.fr/journal/international/190919/des-helicopteres-francais-facilitent-la-repression-indonesienne-en-papouasie

Observatoire des armements :

https://www.obsarm.org

War on West Papua – Campagne internationale pour la justice :

https://www.waronwestpapua.org/france

Survie (ONG) : La France complice de répressions ?

https://survie.org

Human Rights Monitor : Rapport trimestriel sur la Papouasie (1er trimestre 2025) : Bombardements et déplacements :  :

https://humanrightsmonitor.org/reports/papua-quarterly-report-q1-2025-papua-quarterly-report-q1-2025-bombardments-displacement-military-expands-civilian-reach-and-new-war-doctrine-amid-protests/

Communiqué officiel de Dassault Aviation (contrat Rafale - Indonésie) :

https://www.dassaultaviation.com/fr/groupe/presse/press-kits/contrat-rafale-indonesie-2022

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.