Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

468 Billets

0 Édition

Billet de blog 4 juin 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Papouasie occidentale : Intan Jaya, une guerre pour l’or

Depuis plusieurs années, une guerre à bas bruit ravage la région d’Intan Jaya, dans la province Indonésienne de Papua Tengah, en Papouasie occidentale. Derrière ce nom éloigné et peu médiatisé se cache une réalité tragique : des villages incendiés, des civils tués, des milliers de personnes déplacées… et un gisement d’or, le Wabu Block, au cœur d’un conflit meurtrier.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Papouasie occidentale : Intan Jaya, une guerre pour l’or

Depuis plusieurs années, une guerre à bas bruit ravage la région d’Intan Jaya, dans la province Indonésienne de Papua Tengah, en Papouasie occidentale. Derrière ce nom éloigné et peu médiatisé se cache une réalité tragique : des villages incendiés, des civils tués, des milliers de personnes déplacées… et un gisement d’or, le Wabu Block, au cœur d’un conflit meurtrier.

L’or comme malédiction

Intan Jaya, régence enclavée des hautes terres papoues, est aujourd’hui au centre d’un affrontement entre l’armée indonésienne (TNI) et l’Armée de libération nationale de Papouasie occidentale (TPNPB). 

Ce qui alimente cette guerre ? Un projet d’exploitation minière de grande envergure, connu sous le nom de Wabu Block. Estimé à plus de 8 millions d’onces d’or, ce gisement suscite la convoitise de l’État indonésien et de grandes entreprises minières, dans un contexte où les autorités centrales n’ont jamais consulté les communautés autochtones concernées.

Depuis 2019, la militarisation de la région s’intensifie. Les forces spéciales sont déployées dans les villages et les collines. Officiellement, il s’agit de combattre les « séparatistes ». En réalité, selon certains observateurs, cette stratégie de la terre brûlée vise à sécuriser l’accès aux ressources, quel qu’en soit le coût humain. 

Ce n’est pas sans raison qu’Usman Hamid, directeur d’Amnesty International Indonésie, qualifie la Papouasie de « trou noir des droits humains », où les violations restent cachées et impunies sous un silence international écrasant.

Crimes sans caméras

Entre 2023 et 2025, Intan Jaya a été le théâtre d’opérations militaires répétées. 

En avril 2023, quatre villages ont été attaqués : 28 maisons brûlées, quatre civils tués, deux enfants blessés, et plus de 3 000 personnes déplacées.

En janvier 2024, de nouveaux combats ont fait plusieurs morts, dont un policier, des membres du TPNPB et un civil, forçant 500 villageois à fuir.

En mai 2025, la situation n’a guère évolué, une autre opération près du village de Waghete a tué des combattants indépendantistes ainsi que des civils, dont une femme et un enfant. Plusieurs ont été blessés, six sont portés disparus.

Cette flambée de violences a forcé plus de 2 000 habitants à fuir vers la forêt. L’état d’urgence a été décrété le 14 mai pour 14 jours.

Selon Human Rights Monitor (HRM), ces opérations pourraient constituer des crimes contre l’humanité. La majorité des attaques n’avaient aucun objectif militaire clair et visaient principalement des habitations civiles, des églises ainsi que des jardins vivriers, causant de lourds préjudices aux populations locales. 

HRM estime qu’il y a aujourd’hui plus de 85 000 déplacés internes à travers toute la Papouasie occidentale, victimes directes des violences et opérations militaires. Une situation dramatique qui témoigne de l’ampleur de la crise humanitaire dans la région.

Mais où sont les caméras ? 

Où est la communauté internationale ? 

Le verrouillage de la région est presque total. Les journalistes indépendants sont interdits d’accès : en 2014, deux journalistes d’ARTE ont été arrêtés pour un soi-disant abus de visa et condamnés à deux mois et demi de prison avant d’être libérés.

Quant aux ONG internationales, elles sont étroitement surveillées, tandis que les réseaux sociaux locaux sont muselés. Lors de la révolte papoue de 2019 contre le racisme indonésien, l’accès à Internet a été coupé pour limiter la diffusion d’informations. Jakarta invoque la « sécurité nationale », alors que les Papous parlent de survie.

Une terre exploitée, un peuple sacrifié 

Ce qui se joue à Intan Jaya n’est pas une simple « insurrection ».  Il s'agit de la poursuite d’un processus d’exploitation à outrance, entamé depuis l’« intégration » forcée de la Papouasie à l’Indonésie dans les années 1960.

Derrière le vernis du développement et des infrastructures, la réalité est brutale : spoliation des terres, acculturation, militarisation, destruction des écosystèmes. Le projet minier du Wabu Block est l’illustration parfaite de cette violence structurelle.

Les Papous, eux, ne demandent ni l’or ni la guerre. Ils réclament la paix, le droit de rester sur leurs terres, la reconnaissance de leur humanité. Ce sont eux qui paient le prix d’un développement qui ne les concerne pas. 

Tandis que les infrastructures se multiplient pour faciliter l’extraction et le transport des ressources au profit des compagnies nationales et multinationales, la santé et l’éducation, elles, sont délaissées. Le taux de mortalité chez les Papous est nettement plus élevé que la moyenne nationale. En 2024, Agus Irianto Sumule, de l’Université de Papouasie, alerte que plus de 600 000 enfants en âge scolaire dans la région ne sont pas scolarisés.

Un appel à la solidarité 

À Intan Jaya, comme ailleurs en Papouasie occidentale, l’or coule rouge. Et notre silence, lui, brille d’une complicité qu’il est temps de briser. 

En tant que citoyen·ne·s, journalistes, universitaires ou militant·e·s, nous ne pouvons rester silencieux face à ce qui s’apparente de plus en plus à une guerre d’occupation. 

Il ne s’agit pas simplement de blâmer le gouvernement indonésien, car derrière le drame papou se cache une cupidité mondiale qui alimente oppression et silence. Soyons clairs : nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, complices de cette injustice et en portons une part de responsabilité.

Alors, exigeons la transparence sur les opérations militaires en Papouasie occidentale. Exigeons l’arrêt immédiat des violences contre les civils. Et surtout, écoutons les voix papoues, celles qu’on tente d’étouffer à coups de fusils et de bulldozers.

Soutenons les ONG qui œuvrent sans relâche pour faire entendre ces voix, documenter les violations des droits humains, et apporter aide et protection aux populations touchées. Leur rôle est essentiel pour que justice soit rendue et que la paix puisse enfin s’imposer.

Sources et articles complémentaires :

1. Amnesty International, 2022.

Analyse des conséquences humaines de l’exploitation du Wabu Block à Intan Jaya : déploiement militaire, meurtres extrajudiciaires, déplacements forcés.

https://www.amnesty.org/en/documents/asa21/5257/2022/en/

2. Human Rights Monitor, 2023.

Rapport sur les raids d’avril 2023 à Intan Jaya : 28 maisons incendiées, 4 civils tués, plus de 3 000 personnes déplacées ; soupçons de crimes contre l’humanité.

https://humanrightsmonitor.org/reports/hrm-report-scorched-earth-security-force-raids-and-forced-displacement-in-intan-jaya-west-papua-documents-alleged-crimes-against-humanity/

3. Human Rights Watch, 2024.

Rapport sur les discriminations raciales, les arrestations politiques, la militarisation persistante et le climat de peur en Papouasie occidentale.

https://www.hrw.org/news/2024/11/11/racism-and-repression-west-papua

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.