Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 4 octobre 2025

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La France adore sa Révolution… mais elle a peur que tu te révoltes

La France célèbre 1789 comme un trophée national, mais refuse d’en transmettre l’esprit : celui de la révolte. Dans les écoles, on enseigne l’histoire des révolutions, non la pratique de la révolte. Pourquoi glorifier le passé tout en muselant l’avenir ? La révolution est un droit, pas une relique.

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La France adore sa Révolution… mais elle a peur que tu te révoltes

La France aime à se présenter comme le berceau de la modernité politique, patrie des droits de l’homme et modèle d’émancipation. Elle se flatte de sa Révolution de 1789 comme d’un héritage sacré, l’exhibe dans ses discours officiels et la commémore religieusement. Pourtant, ce paradoxe demeure : la République encense la Révolution, mais elle n’en transmet pas l’esprit. L’école n’enseigne pas à contester, mais à se conformer. La mémoire de 1789 est transformée en mythe figé, dépouillé de sa puissance subversive.

1789 : De la subversion à la muséification

Comme l’écrivait Jules Michelet, « 1789 est l’aurore du monde moderne ». Mais l’aurore a été transformée en crépuscule : au lieu d’inspirer de nouvelles insurrections, la Révolution est enseignée comme une relique. La prise de la Bastille devient un rituel scolaire, non une invitation à identifier et abattre les Bastilles contemporaines.

Rousseau affirmait que la souveraineté populaire donne au peuple le droit de se défendre contre l’oppression. Pourtant, cette idée n’est jamais transmise comme une règle concrète ou applicable. Elle reste confinée aux manuels d’histoire, présentée comme une curiosité du passé. L’esprit révolutionnaire se transforme ainsi en simple objet de contemplation, au lieu de devenir un moteur d’action et de transformation politique.

Une école qui apprend à obéir

Pierre Bourdieu a montré que l’école française n’est pas l’instrument de la démocratisation, mais celui de la reproduction sociale (La Reproduction, 1970). Elle inculque des savoirs qui légitiment l’ordre établi, mais jamais les outils pour le contester.

On apprend Rousseau, mais on ignore la radicalité de son Contrat social, où il affirme que « quand le peuple est opprimé, il a le droit de briser ses chaînes ». On lit Voltaire, mais réduit à une figure de tolérance, alors que son esprit de sarcasme et de combat contre l’arbitraire est neutralisé.

La pédagogie républicaine préfère former des citoyens dociles que des insurgés. Jacques Rancière, dans Le Maître ignorant, rappelle que l’émancipation ne vient pas de l’instruction verticale mais de l’égalité des intelligences. Or, cette égalité est précisément ce que l’institution refuse de reconnaître.

La peur de la révolte

Pourquoi ce décalage entre le culte de 1789 et l’interdiction d’en tirer les leçons pratiques ? Parce que, tout pouvoir vit dans la peur de sa propre contestation. Reconnaître le droit à l’insurrection serait miner les fondements de la République parlementaire actuelle, où la souveraineté populaire est confisquée par une oligarchie électorale et financière.

La Révolution française est ainsi intégrée au discours officiel comme une légitimation du pouvoir, et non comme une menace. On dit aux citoyens : « Vous avez eu votre Révolution, contentez-vous de l’hériter. » Mais quiconque tente de réactiver l’esprit de 1789 — qu’il s’agisse des ouvriers en grève, des étudiants en révolte, des Gilets Jaunes ou des militants écologistes — sont immédiatement surveillés, réprimés et parfois criminalisés.

Un patrimoine neutralisé

Le culte républicain de 1789 fonctionne comme une stratégie de neutralisation. Comme le note Walter Benjamin dans Sur le concept d’histoire, le passé révolutionnaire est souvent capturé et réécrit par les puissants, empêchant ses leçons de devenir vivantes.

La France célèbre sa Révolution comme un trophée national, mais refuse que cet héritage se transforme en praxis concrète. On transforme l’émeute en folklore, l’insurrection en musée. Comme si l’histoire devait rester un passé glorieux, jamais un présent menaçant.

Pour une pédagogie de l’insoumission

Être fidèle à 1789, ce n’est pas commémorer la prise de la Bastille chaque 14 juillet, mais enseigner aux jeunes générations à identifier leurs propres Bastilles : la dictature de la finance, l’autoritarisme policier, la destruction écologique, la concentration des richesses.

Comme l’écrivait Albert Camus dans L’Homme révolté, « l’homme révolté est celui qui dit non ». L’école française, au lieu de former des êtres capables de dire non, forme des individus qui apprennent à dire oui — oui aux institutions, oui aux hiérarchies, oui à l’ordre établi.

Une véritable pédagogie républicaine devrait transmettre non seulement la mémoire de la Révolution, mais l’art de l’insoumission. Elle devrait apprendre à contester l’injustice, à désobéir à la loi quand elle devient tyrannique, à inventer des formes nouvelles de souveraineté populaire. Autrement dit : à préparer de nouvelles révolutions.

Il faut apprendre la révolution

Il faut briser le tabou. Si la France veut réellement être fidèle à son héritage, alors il faut introduire dans le curriculum scolaire une pédagogie de la révolte. Il faut enseigner la grève comme on enseigne la dissertation. Il faut apprendre à occuper une place publique comme on apprend à résoudre une équation. Il faut transmettre aux enfants non seulement les droits, mais les moyens concrets de les défendre — par la désobéissance civile, la solidarité, la créativité collective.

Bref : il faut apprendre aux jeunes à faire la révolution. Non pas comme une nostalgie, mais comme une compétence citoyenne. Non pas comme un chaos destructeur, mais comme l’art de refuser l’injustice et d’inventer un autre monde. Tant que ce devoir n’entrera pas dans l’école, la République restera une contradiction : fille d’une insurrection, mais mère d’une génération domestiquée.

Dix commandements pour un curriculum de la révolte

1. Tu enseigneras la révolution comme une compétence vivante, non comme un simple souvenir historique.

2. Tu apprendras la désobéissance civile : quand la loi est injuste, tu résisteras.

3. Tu maîtriseras la grève et l’occupation : elles sont légitimes pour défendre la démocratie.

4. Tu critiqueras les institutions : l’État, l’école, l’économie sont des constructions humaines, et tu les transformeras.

5. Tu cultiveras l’art de dire non : non à l’injustice, non à la domination, non à l’inégalité.

6. Tu développeras ton imagination politique : invente d’autres mondes possibles au-delà du capitalisme et de la bureaucratie.

7. Tu pratiqueras la solidarité des opprimés : la révolution se fait collectivement, jamais seul.

8. Tu préserveras la mémoire des luttes populaires : 1789, 1871, 1936, 1968… toutes les révoltes confisquées doivent t’inspirer.

9. Tu affirmeras la souveraineté populaire : le peuple est l’acteur principal de l’histoire, pas un spectateur.

10. Tu feras ta propre révolution : ne répète pas le passé, crée un avenir où liberté, égalité et fraternité deviennent des armes.

Les 8 béatitudes des révoltés

1. Bienheureux ceux qui disent non à l’injustice

   Car ils découvrent la dignité en refusant de se soumettre.

2. Bienheureux ceux qui se lèvent malgré la peur

   Car leur courage forge l’avenir et fait trembler les oppresseurs.

3. Bienheureux ceux qui défendent les opprimés

   Car leur solidarité transforme la révolte en œuvre collective.

4. Bienheureux ceux qui remettent en cause l’ordre établi

   Car ils voient le monde tel qu’il pourrait être, et non tel qu’on leur impose.

5. Bienheureux ceux qui rêvent d’un autre monde

   Car leur imagination devient une arme contre la fatalité.

6. Bienheureux ceux qui résistent sans haine

   Car leur révolte est guidée par la justice et non par la vengeance.

7. Bienheureux ceux qui apprennent des luttes passées

   Car la mémoire des révoltes confisquées éclaire le chemin de la liberté.

8. Bienheureux ceux qui agissent malgré l’échec

   Car chaque lutte, même perdue, prépare les victoires futures et nourrit l’espoir.

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