Zazie en Papouasie occidentale :
Notes d'un voyage sur une terre sous silence
En 2008, la chanteuse Zazie s’est rendue en Papouasie occidentale dans le cadre de l’émission "Rendez-vous en terre inconnue", diffusée l’année suivante. Filmée aux côtés du peuple Korowai, elle découvrait, avec émerveillement, une culture forestière singulière, présentée comme un havre de simplicité. Les images étaient belles. La musique douce. Le silence assourdissant.
Car au même moment, ailleurs dans cette région sous domination indonésienne, d’autres réalités se jouaient — invisibles aux caméras. Un lycéen croupissait en prison pour avoir hissé le drapeau de son peuple. Un pasteur enterrant un militant murmurait quelques prières sous la menace des forces de sécurité. Et dans les collines, des enfants apprenaient à se taire, comme leurs parents avant eux.
Une car postale ethnograpgique... sous surveillance
La Papouasie occidentale, intégrée par l’Indonésie depuis 1963, est l’une des zones les plus fermées au monde. Les journalistes y sont interdits. Les ONG y sont surveillées. Et toute image publique — y compris celles d’un tournage télévisé ou musical — fait l’objet d’un contrôle rigoureux. Comment une production française a-t-elle pu accéder à cette zone ultra-sensible ? Par quelles autorisations ? Avec quels encadrements militaires ou diplomatiques ? La question n’est pas accessoire.
En 2014, deux journalistes d’ARTE, Valentine Bourrat et Thomas Dandois, ont été arrêtés, emprisonnés puis expulsés pour avoir filmé sans autorisation. Leurs contacts papous, eux, ont été maltraités. En Papouasie, filmer n’est jamais un geste neutre. C’est un acte politique. Même lorsqu’il se prétend apolitique.
La beauté peut-elle être complice ?
Il ne s’agit pas ici de faire le procès de Zazie. Peut-être ne savait-elle rien des exactions en cours. Peut-être, au contraire, savait-elle mais a choisi de ne pas troubler l’instant. Mais ce silence a des conséquences. Lorsque l’on diffuse, à des millions de téléspectateurs, une image apaisée d’un territoire en guerre larvée, on participe — volontairement ou non — à l’effacement d’un peuple et de sa lutte.
Car derrière l’esthétique, il y a une mémoire interdite. Ce que certains observateurs décrivent comme un génocide lent, une dépossession culturelle, une occupation toujours active. Quand on montre les Papous souriants dans les arbres sans parler de ceux qui pleurent dans les prisons, on raconte une moitié de vérité. Et parfois, une demi-vérité est une forme de mensonge.
Chanter la paix quand d'autres étouffent
On dira que les artistes ne sont pas des journalistes. Que leur rôle est d’émouvoir, pas d’informer. Pourtant, sur certaines terres, l’émotion devient aveuglement si elle se détourne des blessures. En Papouasie, on ne peut pas séparer la beauté de la violence, ni la forêt de la militarisation. La caméra occidentale, en quête d’exotisme, ne peut pas être innocente si elle oublie ceux qu’on empêche de parler.
Car l’essentiel n’est pas de savoir si Zazie avait de bonnes intentions. L’essentiel est de savoir :
Qui a-t-elle écouté ?
Et surtout : qui a-t-elle laissé dans l’ombre ?
Un jour, une autre chanson
Peut-être qu’un jour, un·e autre artiste viendra. Un·e qui commencera par écouter. Qui prendra le temps de rencontrer les mères endeuillées, les prêtres menacés, les jeunes qui rêvent d’émancipation dans une langue étouffée.
Alors peut-être naîtra une autre chanson. Une chanson qui dira la vérité, même à demi-mot. Une chanson qui n’occupera pas l’espace mais le partagera. Une chanson qui, humblement, portera la douleur d’un peuple sans la travestir.
En attendant, les Papous continueront de chanter pour survivre. Dans leurs langues menacées. À voix basse. Avec des mélodies qu’on n’entend pas à Paris.
Et tant que les caméras éviteront les regards blessés, il nous appartiendra, à nous qui voyons, de refuser l’oubli.
Car en Papouasie occidentale, le silence n’est pas neutre — il est complice !