Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 5 juillet 2025

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1789 désarmé : un avenir à construire

Et si, dès 1789, la Révolution avait choisi la désobéissance civile plutôt que la guillotine ? “1789 désarmé, un avenir à construire” propose de penser une insurrection mondiale non-violente : une révolution intellectuelle, politique et sociale où la force naît de l’éthique, non du sang.

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Et si la Révolution n’avait pas saigné ? Vers une insurrection mondiale de la non-violence

Par quoi commence une révolution ? Par une faim. Une injustice. Une impossibilité de continuer à vivre comme avant. Mais par quoi se termine-t-elle ? Trop souvent : par un nouveau trône, construit sur un monceau de cadavres. Et si le 14 juillet 1789, au lieu d’ouvrir le siècle du sang, avait été l’aurore d’un monde sans guillotine ?

Nous n’avons jamais eu le courage d’envisager cette alternative autrement que comme une naïveté ou une trahison. Pourtant, dans un monde qui titube sous les ruines de ses propres haines, où les révoltes s’enchaînent sans jamais libérer, où l’indignation tourne en boucle et la violence légitime ses propres échecs — n’est-il pas temps de penser plus haut, plus loin, plus radicalement ?

Révolution et violence : un héritage vicié

Il est devenu presque blasphématoire de dissocier révolution et violence. La République française est née de la décapitation d’un roi, la République soviétique d’un bain de sang impérial, la République chinoise d’un long massacre idéologique. Même les révolutions qui se prétendent populaires finissent, tôt ou tard, par ériger leur propre Bastille intérieure.

On nous a enseigné que le progrès exige le feu. Que l’Histoire avance au bruit des fusils. Que la justice a besoin de potence. Mais cette pédagogie de la peur est un mensonge millénaire : une vérité faite pour les dominants, même quand elle sort de la bouche des opprimés.

La guillotine n’a pas sauvé la Révolution ; elle l’a souillée. Elle n’a pas détruit la tyrannie ; elle l’a déplacée. Le peuple a renversé le roi, puis s’est livré aux tribunaux expéditifs, aux purges, aux génocides oubliés (Vendée, Lyon, Haïti...), aux nouveaux empires. Robespierre n’est pas le héraut de la justice : il est la preuve que toute violence, même "morale", finit par dévorer son propre camp.

La possibilité d’une révolution douce : utopie ou génie stratégique ?

Imaginons un instant : que se serait-il passé si, en 1789, les révolutionnaires avaient choisi une voie inouïe — la désobéissance systémique, la non-coopération civique, l’assise des corps dans la rue, les boycottes économiques, les mots plus forts que les balles ?

Ce n’est pas folie. C’est une autre manière de concevoir le pouvoir : non plus comme quelque chose à prendre par la force, mais comme une illusion qui se dissipe dès qu’un peuple se retire de son propre esclavage. Le roi sans sujets n’est plus rien. Le système sans rouages meurt de lui-même. La violence n’est pas une nécessité révolutionnaire : elle est l’échec de l’imaginaire politique.

Des penseurs comme Gandhi, Tolstoï, Simone Weil, Martin Luther King, ont tenté — trop seuls — de tracer cette ligne. Leur faiblesse apparente était leur grandeur réelle. Car ils savaient que la non-violence n’est pas passivité, mais insoumission active. Elle n’est pas soumission à l’ordre, mais refus absolu de ses méthodes.

Vers une révolution internationale de la non-violence

Ce que la France aurait pu tenter en 1789, le monde entier peut encore l’inventer. L’humanité, au XXIe siècle, se trouve au bord d’un effondrement éthique. Les peuples s’indignent, se lèvent, se battent — mais retombent sans cesse dans la logique de l’ennemi, du sang, du pouvoir à prendre plutôt qu’à dissoudre.

La révolution non-violente ne sera pas une révolte faible. Elle sera totale :

  • Politique, en refusant la verticalité, les chefs, les appareils qui pensent à la place des peuples.
  • Économique, en brisant la dépendance aux logiques de marché, en cultivant la sobriété, la relocalisation, le partage.
  • Épistémologique, en renversant les modèles de savoirs coloniaux, patriarcaux, extractivistes.
  • Spirituelle, en affirmant que l’être humain n’est pas réductible à ses pulsions, ses intérêts, ou ses appartenances tribales.

Il ne s’agit pas d’un pacifisme sentimental. Il s’agit d’un bouleversement méthodique, implacable, organisé, mais sans haine. Car c’est la haine qui permet aux structures de survivre : en nous divisant, en nous militarisant, en nous réduisant à l’état d’armées enragées plutôt que de communautés conscientes.

Décoloniser la révolution : sortir de la matrice européenne du pouvoir

Ironie suprême : la Révolution française, si souvent présentée comme universelle, n’a pas libéré les esclaves de Saint-Domingue sans tenter de les recoloniser ensuite. Elle n’a pas aboli l’impérialisme — elle l’a rationalisé.

Une révolution non-violente doit aussi être décoloniale. Elle ne peut se contenter de refaire 1789. Elle doit écouter les voix qui n’ont jamais eu le droit de parler. Elle doit apprendre des sociétés où la réciprocité, la palabre, le consensus, la relation à la terre sont des formes politiques à part entière.

Pour un nouvel 14 juillet

Le 14 juillet que nous devons célébrer n’est pas celui de la Bastille, mais celui d’une Révolution mentale. Une libération de nos réflexes meurtriers, une désactivation de la fascination pour le pouvoir, un dépassement du mythe de la violence rédemptrice.

La prochaine révolution ne prendra pas l’Élysée : elle désarmera l’idée même de palais. Elle ne décapitera personne : elle nous coupera de notre addiction au commandement. Elle ne dressera pas de statues : elle les fondra pour en faire des bancs.

Car nous n’avons pas besoin de héros. Nous avons besoin d’humains éveillés.

Et si la Révolution mondiale commence un jour, elle ne portera pas de fusil. Elle marchera pieds nus. Mais elle fera trembler les empires — comme aurait pu le faire 1789 désarmé, si la France avait osé libérer sans tuer.

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