Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 5 septembre 2025

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Indonésie : le pari incertain du « Giant Sea Wall »

Face à la montée des eaux qui menace Java, l’Indonésie mise sur un projet titanesque : le Giant Sea Wall, un mur de mer long de 700 kilomètres. Mais son coût colossal, les incertitudes politiques et la dépendance aux investisseurs étrangers posent une question cruciale : bouclier vital ou fardeau insoutenable ?

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Indonésie : le pari incertain du « Giant Sea Wall »

Jakarta – Le président indonésien Prabowo Subianto n’a pas hésité, lors de sa récente visite à Pékin, à tendre la main à Xi Jinping pour l’un des projets les plus colossaux jamais envisagés par l’archipel : la construction d’un Giant Sea Wall, un mur maritime censé protéger Java de la montée des eaux.

L’image est forte : deux dirigeants discutant non pas de routes ou de trains, mais d’un rempart long de plusieurs centaines de kilomètres, dressé face à l’océan. Mais derrière les sourires officiels et les déclarations d’intention, une question persiste : l’Indonésie a-t-elle réellement les moyens de bâtir ce mur ?

Une île menacée

Java n’est pas une île comme les autres. C’est le cœur battant du pays : plus de la moitié des Indonésiens y vivent, les grandes villes s’y entassent, l’économie y tourne à plein régime. Mais Java s’enfonce.

À Jakarta, certains quartiers disparaissent déjà sous les eaux plusieurs fois par an. À Semarang ou à Pekalongan, les habitants construisent des digues de fortune, impuissants face à une mer qui grignote chaque jour un peu plus de terrain.

Face à ce danger, l’idée d’un mur géant s’est imposée comme une évidence : 500 à 700 kilomètres de barrières, de Banten à Gresik, censées repousser les vagues et sauver l’île d’un futur englouti.

Un projet pharaonique, une facture vertigineuse

L’ambition a un prix : près de 80 milliards de dollars. Une somme vertigineuse qui donne le tournis à un pays déjà lesté par une dette croissante.

Prabowo l’assure : l’Indonésie ne sera pas seule. La Chine, le Japon, la Corée du Sud, peut-être même l’Europe pourraient apporter capitaux et savoir-faire. Mais sur les marchés financiers, les doutes s’accumulent.

Un investisseur singapourien confiait récemment : « Avec l’instabilité politique actuelle et les tensions sociales en Indonésie, qui osera miser sur un projet aussi risqué, étalé sur vingt ans ? Déjà que le chantier pharaonique de Nusantara, la nouvelle capitale, n’est pas encore achevé… »

La tentation chinoise

La rencontre avec Xi Jinping n’a rien d’anodin. Pékin maîtrise depuis longtemps l’art des grands travaux, et sa présence dans les infrastructures indonésiennes ne cesse de croître, du train à grande vitesse Jakarta-Bandung aux zones industrielles côtières.

Pour Jakarta, s’associer à la Chine, c’est accélérer le projet. Mais pour une partie de l’opinion publique, c’est aussi courir le risque d’une dépendance excessive, d’un mur payé au prix d’une souveraineté entamée.

Entre espoir et scepticisme

Sur le terrain, l’impatience grandit. Les pêcheurs redoutent que les chantiers n’étouffent leurs zones de travail. Les écologistes dénoncent un projet qui pourrait bouleverser des écosystèmes fragiles. Les économistes, eux, comptent les zéros d’une facture qui semble chaque jour plus lourde.

Et pourtant, l’urgence est là. Les inondations ne préviennent pas, et Java s’enfonce à vue d’œil. « Si rien n’est fait, certaines villes côtières seront inhabitables d’ici vingt ans », avertissent les experts.

Une course contre le temps

Le Giant Sea Wall est peut-être le pari du siècle pour l’Indonésie : ériger un bouclier contre les eaux, au risque de plomber ses finances. Prabowo en a fait une priorité nationale, mais il sait que l’ouvrage ne sera pas terminé sous son mandat.

En vérité, ce mur n’est pas seulement une bataille contre la mer. C’est aussi un test grandeur nature de la capacité de l’Indonésie à tenir un cap politique sur plusieurs décennies, à convaincre ses investisseurs, et surtout, à protéger son peuple sans s’endetter jusqu’à l’asphyxie.

L’histoire du Giant Sea Wall ne fait que commencer. Elle dira, dans vingt ans, si Java a résisté… ou si la mer a fini par gagner.

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