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Billet de blog 6 août 2025

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Indonésie : un prêtre catholique poursuivi pour blasphème

En août 2025, l'abbé Patris Allegro est accusé de blasphème en Indonésie après un enseignement théologique interne à son Église. Une plainte d'associations locales, fondée sur un extrait audio décontextualisé, le conduit devant la police. Cette affaire soulève des questions sur la liberté d'expression religieuse dans un climat politique tendu.

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Indonésie : un prêtre catholique poursuivi pour blasphème

Kupang, Indonésie – août 2025.

L’affaire aurait pu rester cantonnée à la sacristie. Un abbé catholique, Patris Allegro, s’exprime dans un cadre pastoral fermé, au cours d’un enseignement adressé à des fidèles de son Église. Il y parle de l’Eucharistie, du mystère de la présence réelle, de la spécificité de la foi catholique face à d’autres confessions chrétiennes. Rien de nouveau sous le soleil de la théologie. Mais en quelques heures, l’affaire prend une tournure kafkaïenne : l’abbé est accusé de blasphème.

La plainte provient d’un collectif d’associations locales, Forum Ormas NTT Bersatu, qui accuse le prêtre d’avoir « offensé la foi protestante ». Un simple extrait audio de trois minutes, sorti de son contexte, suffit pour le traîner devant la police régionale de Nusa Tenggara Timur (NTT). Le chef d’accusation est grave : violation de la loi sur le blasphème, un texte hérité d’une époque où l’État s’arrogeait le droit de juger la foi.

Une mascarade religieuse au service d’une stratégie politique

Mais derrière le masque de l’indignation religieuse se cache un théâtre d’ombres bien plus cynique. Selon des sources concordantes dans les médias locaux, cette attaque ne vise pas tant l’abbé que le chef de la police régionale de NTT, proche du prêtre, et dont le nom circule comme candidat sérieux au poste de chef de la police nationale.

Le stratagème serait aussi simple que sordide : monter une affaire de blasphème pour créer un scandale, fragiliser l’image du chef de la police, et l’écarter discrètement de la course au sommet. L’abbé Patris n’est alors qu’un dommage collatéral dans une guerre de succession politique.

Une loi liberticide

L’article 156a du Code pénal indonésien, qui sanctionne les atteintes à la religion, est censé protéger la coexistence interreligieuse. Mais dans les faits, il sert trop souvent d’instrument de répression, voire de règlement de comptes. Dans le cas de l’abbé Patris, aucun appel à la haine, aucune incitation à la violence, aucune profanation. Il s'agit simplement d’un discours théologique, conforme à la tradition de son Église, selon laquelle l’Église catholique romaine est la seule véritable Église.

Ce qu’il a dit relève de l’enseignement religieux, dans un cadre pastoral. Il n’a pas insulté une autre religion. Il a exprimé sa foi, explique Robert Salu, professeur de droit pénal à Kupang.

Et pourtant, voilà un prêtre contraint de se justifier, menacé d’enquête, cloué au pilori médiatique. Une scène absurde, dans un pays qui se targue de pluralisme religieux.

Un climat empoisonné

Dans un contexte où les identités religieuses sont hypersensibles et souvent politisées, il suffit d’un mot mal interprété pour déclencher une tempête. Des enregistrements circulent. Des extraits sont diffusés sans contexte. Les réseaux sociaux s’enflamment. Et bientôt, l’État s’en mêle.

L’Indonésie s’est construite sur le principe du Bhinneka Tunggal Ika – Unité dans la diversité. Mais ces dernières années, ce mantra semble de plus en plus vidé de sa substance. La loi sur le blasphème, censée maintenir la paix religieuse, devient un piège pour toute voix qui ose s’exprimer autrement. Elle produit non pas la tolérance, mais la peur et la censure.

Une Église muselée

Ce n’est pas la première fois qu’une figure religieuse se retrouve dans la ligne de mire pour un enseignement doctrinal. Et à chaque fois, la même mécanique : décontextualisation, mobilisation d’associations offensées, plainte pénale, procédure médiatisée. Le religieux devient le champ de bataille du politique.

Mais cette fois, le message est plus inquiétant encore : même en son sein, même dans l’exercice de sa mission spirituelle, l’Église semble exposée. Une parole religieuse qui ne s’aligne pas sur une interprétation consensuelle et lissée peut désormais être remise en question, voire contestée sur le plan juridique.

Une démocratie religieuse sous tension

L’affaire de l’abbé Patris Allegro devrait alerter bien au-delà des cercles catholiques. Car aujourd’hui, c’est un prêtre. Demain, ce pourra être un imam, un moine, un penseur, un enseignant. Quiconque ose parler différemment de Dieu dans l’espace public – ou même privé – risque d’être sacrifié sur l’autel du consensus politique.

La loi anti-blasphème, dans sa forme actuelle, est une arme dangereuse. Elle ne protège pas la foi : elle punit la parole. Et dans un pays aussi religieux que l’Indonésie, cela revient à bâillonner la conscience.

Source :

www.korantimor.com/hukum-kriminal/amp/1546385043/diduga-laporan-terhadap-romo-patris-alegro-skenario-politik-gulingkan-calon-kapolri-bukan-soal-teologi

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