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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 6 septembre 2025

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Indonésie : 4 000 intoxications scolaires en huit mois

Le programme MBG, censé lutter contre la malnutrition en Indonésie, a entraîné 4 000 cas d’intoxication en seulement huit mois. Face aux alertes et à la critique publique, les autorités choisissent de poursuivre le programme, mettant en jeu la santé des élèves et la transparence des dépenses publiques.

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Indonésie : 4 000 intoxications scolaires en huit mois

Depuis huit mois, l’Indonésie expérimente le programme Makan Bergizi Gratis (MBG), littéralement Repas nutritifs gratuits. Présenté par le gouvernement comme une arme décisive contre la malnutrition et le retard de croissance (stunting), ce dispositif est pourtant entaché de graves dérives. 

Une tragédie derrière une initiative phare

Selon un rapport de l’Institute for Development of Economics and Finance (Indef), au moins 4 000 élèves ont été victimes d’intoxications alimentaires depuis le lancement du programme

Ces cas, recensés dans plusieurs provinces, révèlent des failles récurrentes : nourriture préparée à la hâte, normes d’hygiène insuffisantes, distribution de masse sans contrôle sanitaire. Malgré cette réalité, les autorités ont réaffirmé leur volonté de poursuivre — et même d’élargir — le programme.

Entre ambition politique et risques sanitaires

Le MBG s’inscrit dans la promesse d’un « héritage politique » majeur : nourrir la jeunesse et bâtir une « génération dorée 2045 ». Mais derrière le discours triomphaliste, de nombreux experts y voient surtout une initiative précipitée, davantage dictée par l’urgence politique que par une planification rigoureuse.

Face aux scandales d’intoxication, la réaction officielle reste souvent défensive : rejeter la faute sur des prestataires locaux, relativiser les incidents ou les qualifier d’« accidents mineurs ». Pendant ce temps, des milliers de familles doivent soigner leurs enfants malades, parfois hospitalisés en urgence.

Un gouffre pour les finances publiques

Avec des budgets annuels chiffrés en milliards d’euros, le MBG représente l’un des postes de dépense publique les plus lourds. Pourtant, son efficacité et sa transparence demeurent très discutables.

Des associations de contrôle budgétaire alertent : chaque euro englouti dans ce programme sans réformes structurelles prive d’autres secteurs essentiels — santé de base, infrastructures scolaires, services sociaux. De plus, la distribution massive de denrées ouvre la voie à des pratiques de corruption bien connues dans les programmes alimentaires.

Une bombe à retardement sanitaire

Si rien ne change, le nombre de victimes pourrait exploser. Les écoliers, contraints de consommer les repas servis, sont les plus exposés. Dans plusieurs cas, des dizaines d’élèves ont dû être hospitalisés, révélant non seulement la vulnérabilité du dispositif, mais aussi la fragilité du système de santé local.

Ainsi, une politique censée améliorer la nutrition risque paradoxalement d’aggraver la santé publique.

Comparaisons internationales : un miroir pour l’Indonésie

Dans d’autres pays, des programmes similaires ont connu des succès, mais avec des mécanismes de contrôle stricts.

  • Inde : le Mid-Day Meal Scheme a permis à des millions d’enfants de bénéficier d’un repas par jour. Cependant, les autorités indiennes ont dû mettre en place un suivi sanitaire rigoureux et former le personnel pour éviter les contaminations. Les incidents restent rares, précisément grâce à ces contrôles.
  • Brésil : le programme de cantines scolaires s’appuie sur une chaîne logistique centralisée et sur la participation des familles et collectivités locales. Les repas sont régulièrement inspectés et des audits alimentaires sont obligatoires, limitant ainsi les risques sanitaires.

Ces exemples montrent que nourrir les enfants à l’école peut être un levier puissant pour la santé publique, mais seule une planification rigoureuse, une supervision stricte et une transparence financière peuvent transformer l’ambition politique en succès concret.

Un appel à la révision totale

Malgré la contestation croissante, le gouvernement persiste : le MBG doit continuer. Cette obstination soulève une question fondamentale : la sécurité des enfants est-elle sacrifiée sur l’autel du prestige politique ?

Des ONG, des nutritionnistes et des universitaires réclament une moratoire immédiat, le temps de réaliser un audit indépendant sur la qualité des repas, la logistique et l’usage des fonds publics. Sans un tel correctif, la menace d’intoxications massives pèsera durablement sur les écoles indonésiennes.

Ne pas faire des enfants des cobayes politiques

Le MBG est né d’une intention louable. Mais l’intention, sans rigueur d’exécution, ne suffit pas. En huit mois, il a déjà provoqué des milliers de victimes, révélé des failles budgétaires et mis en lumière les limites de la gouvernance publique.

S’il n’est pas réformé en profondeur, ce programme restera dans les mémoires non pas comme une victoire contre la malnutrition, mais comme un expérimentalisme politique tragique, où les enfants ont payé le prix le plus lourd.

Les leçons de l’Inde et du Brésil sont claires : la bonne volonté ne remplace jamais la rigueur, la supervision et la transparence. L’Indonésie n’a plus le droit de se tromper.

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