Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 7 juillet 2025

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Liberté partagée : la France et l’Indonésie

Alors que la France pansait ses plaies après la guerre, certains de ses fils choisissaient un autre combat : celui de l’Indonésie pour sa liberté. Diplomates, intellectuels, soldats ou anonymes, ils furent les témoins discrets d’une solidarité anticoloniale oubliée des manuels d’histoire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Frères d’armes et de liberté : ces Français qui ont soutenu l’indépendance de l’Indonésie

Dans les jungles de Java comme dans les salons de diplomatie, quelques voix françaises, oubliées de l’Histoire, ont choisi de soutenir la lutte du peuple indonésien pour son émancipation. Une histoire de solidarité, d’idéaux partagés et de résistances croisées.

Le parfum de la liberté, de l’autre côté du monde

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, tandis que l’Europe panse ses plaies, les peuples colonisés d’Asie entrent dans une ère nouvelle. Le Japon, qui avait renversé les puissances coloniales pendant l’occupation, a laissé un vide, une brèche, un espoir. En août 1945, quelques jours après Hiroshima et Nagasaki, Soekarno proclame l’indépendance de l’Indonésie, mettant ainsi fin à plus de 300 ans de domination néerlandaise. Mais les Hollandais veulent reprendre le contrôle.

Dans ce tumulte, quelques Français — diplomates, intellectuels, soldats ou humanistes — vont se tenir du côté des insurgés. Par conviction anticolonialiste, par solidarité entre peuples en lutte, ou simplement par fidélité à l’idéal de liberté hérité de 1789, ils vont, à leur manière, participer à l’un des chapitres les plus complexes de la décolonisation asiatique.

Une jeunesse française face à sa propre histoire coloniale

En 1945, la France est elle-même engagée dans une guerre pour reconquérir ses colonies d’Asie. L’Indochine s’embrase. Pourtant, dans les milieux intellectuels parisiens, de jeunes hommes et femmes, nourris de lectures marxistes, humanistes ou chrétiennes, commencent à remettre en question l’idée même d’Empire. La proclamation d’indépendance indonésienne résonne chez eux comme un écho à leur propre histoire de Résistance.

En 1947, Raymond Cartier, journaliste engagé, évoquait les luttes d’indépendance en Asie comme des combats qui, bien que différents, résonnaient avec les idéaux français de liberté. Il percevait l’Indonésie comme une nation en quête d’une révolution comparable à celle de la France en 1792.

L’affaire Leclerc : une mission ambiguë

Le général Leclerc, auréolé de gloire pour sa libération de Paris, est envoyé en Indochine en 1945 pour y rétablir l’ordre colonial. Mais Leclerc, pragmatique et lucide, voit très vite que la guerre contre les Vietnamiens n’est ni tenable, ni juste. Lorsqu’il entend parler des troubles en Indonésie, il aurait confié à ses officiers :

« Les Hollandais veulent reprendre ce qu’ils ont perdu. Nous savons ce que cela coûte. La liberté ne s’étouffe pas avec des canons. »

Officiellement, la France ne s’oppose pas au retour des Néerlandais en Indonésie. Mais en coulisses, quelques diplomates français expriment leur sympathie à l’égard de la cause indonésienne. À Singapour, à Saïgon ou à Calcutta, des agents français entrent en contact avec des indépendantistes. L’ambassade de France à Jakarta, discrètement, accueille des conversations entre modérés indonésiens et observateurs étrangers.

André Malraux et la fascination pour les peuples en lutte

Parmi les figures françaises les plus emblématiques de cette époque, André Malraux incarne une fascination romantique pour les révolutions lointaines. Bien qu’il ne se soit jamais rendu en Indonésie, ses écrits sur l’Asie coloniale, notamment "La Condition humaine", résonnent profondément chez de nombreux jeunes militants. Dans les cercles de gauche à Paris, l’Indonésie devient un symbole de lutte juste.

À la fin des années 1940, certains étudiants et intellectuels français engagés rapprochent déjà la lutte de Soekarno en Indonésie de celle de Hô Chi Minh en Indochine, percevant dans ces mouvements les signes d’un éveil anticolonial en Asie. 

Soutien du PCF à l’indépendance de l’Indonésie

Entre mars 1946 et mai 1947, le journal L’Humanité, organe officiel du Parti communiste français (PCF), publie régulièrement des éditoriaux et reportages dénonçant la répression coloniale menée par les forces néerlandaises en Indonésie. Ces articles mettent en lumière les violences militaires, les bombardements sur les populations civiles, ainsi que les complicités actives ou tacites des puissances occidentales, notamment la France, dans cette tentative de recolonisation.

Dans ce même temps, les chroniques internationales signées par des journalistes communistes de renom, comme Pierre Courtade et André Stil, couvrent en profondeur la situation en Asie du Sud-Est, soulignant les luttes des républicains indonésiens et appelant à une solidarité internationale avec leur combat pour la liberté.

Parallèlement, L’Humanité relaie les actions de solidarité concrètes menées en France, notamment les grèves des dockers à Marseille et Dunkerque entre 1946 et 1947. Ces travailleurs refusent de charger du matériel militaire destiné aux forces coloniales néerlandaises, faisant ainsi preuve d’un engagement militant fort, en cohérence avec la ligne internationaliste et anticolonialiste du PCF.

Ces diverses formes de mobilisation médiatique et militante traduisent la position claire du PCF en faveur du droit à l’autodétermination des peuples colonisés, inscrivant la lutte indonésienne dans une perspective plus large de combat contre l’impérialisme et pour la justice sociale à l’échelle mondiale.

Des soldats français dans les rangs indonésiens ?

Une histoire persistante, parfois difficile à vérifier, circule dans les archives orales indonésiennes : celle de quelques volontaires français, anciens résistants ou déserteurs coloniaux, ayant rejoint les rangs des combattants indonésiens pendant la guerre d’indépendance (1945–1949). Ils auraient offert leur savoir-faire militaire, leurs conseils tactiques, et parfois leur vie, pour soutenir les républicains.

Dans les forêts de Sumatra ou les collines de Java, certains officiers indonésiens auraient ainsi eu des compagnons d’armes venus de Marseille, de Lyon ou d’Alger. Leur mémoire est effacée des livres d’histoire, mais pas toujours des cœurs. À Yogyakarta, un vieil homme affirmait encore dans les années 1990 :

« Il y avait un ‘orang Prancis’, il parlait peu, mais il se battait fort. Nous l’appelions ‘Jacques’. Il disait que l’Indonésie méritait ce que la France avait conquis cent ans plus tôt : la dignité. »

Par ailleurs, il est possible que quelques infirmières françaises, discrètes et courageuses, aient tendu la main en offrant une aide humanitaire ponctuelle ou en étant témoins silencieuses de cette période tumultueuse — pourtant, leurs actes demeurent méconnus, perdus dans l’ombre des archives officielles.

La diplomatie française à l’ONU : neutralité bienveillante

Pendant la guerre d’indépendance, les Néerlandais bombardent Yogyakarta, imposent des blocus, capturent Soekarno. L’ONU devient un terrain de bataille diplomatique. Et là encore, la France joue un rôle discret mais significatif. En 1947, puis en 1948, les représentants français au Conseil de sécurité refusent de soutenir les actions militaires hollandaises. Sans affirmer un soutien explicite à l’Indonésie, la France laisse entendre qu’elle comprend la logique de la décolonisation.

Quand l’Indonésie obtient finalement son indépendance en 1949, le président Vincent Auriol adresse un message à Soekarno, saluant « la naissance d’une grande nation amie ».

L’héritage silencieux

Peu de monuments, peu de livres, peu de noms. Les Français qui ont soutenu l’indépendance de l’Indonésie ne sont ni glorifiés ni enseignés. Et pourtant, leur geste a compté. Non pas tant par leur nombre, mais par leur position morale. Ils ont affirmé, dans un monde encore dominé par l’idée d’empire, qu’un peuple avait le droit de se gouverner lui-même. Ils ont reconnu, chez les Indonésiens, des égaux en humanité.

Dans l’ombre des grandes puissances, loin des caméras et des podiums, quelques Français ont fait le choix du cœur et de la conscience. Leur histoire est celle d’une solidarité discrète mais réelle, entre deux peuples que l’histoire coloniale avait placés à distance. Aujourd’hui, à l’heure où les relations franco-indonésiennes se développent, il n’est pas inutile de rappeler ces liens anciens, faits de respect, de courage et d’une même soif de liberté.

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