Le TGV indonésien « Whoosh » : entre modernité et fardeau budgétaire
Jakarta–Bandung – Le train surgit, glissant sur ses rails à 350 km/h, traversant rizières, collines et périphéries urbaines. Pour les voyageurs indonésiens, le Whoosh n’est plus seulement un train à grande vitesse : c’est le symbole d’une promesse, celle d’un pays qui veut rivaliser avec les grandes puissances en matière d’infrastructures.
En moins d’une heure, Jakarta et Bandung, séparées par d’interminables embouteillages, se retrouvent connectées. Le trajet, jadis synonyme de patience et de chaos routier, devient une expérience de fluidité et de vitesse. Dans les wagons modernes, étudiants, cadres et familles partagent un même étonnement : l’Indonésie appartient désormais au club des nations du TGV.
Un succès populaire et une vitrine de modernité
Les chiffres confirment l’enthousiasme. Des millions de passagers ont déjà emprunté le Whoosh, avec des trains affichant souvent complet. Les fréquences ont été multipliées, les records d’affluence battus, et les gares périphériques naguère endormies se transforment en nouveaux pôles urbains. Autour des terminaux, cafés, hôtels et commerces foisonnent ; la valeur foncière grimpe, et les autorités se félicitent d’un effet stimulant sur l’économie régionale.
Le projet ne se limite pas à transporter des voyageurs : il façonne un récit national. Le Whoosh est présenté comme l’incarnation d’une « Indonésie moderne », un jalon vers la vision 2045 d’un pays émergé et technologiquement souverain. La coopération avec la Chine est, elle aussi, mise en avant : transfert de savoir-faire, formation de conducteurs et ingénieurs locaux, intégration à l’initiative des « Nouvelles routes de la soie ».
L’ombre d’une dette colossale
Mais derrière cette image triomphante, un chiffre dérange : 7,3 milliards de dollars. C’est le coût final de cette ligne, presque le double des prévisions initiales. Pour combler les dépassements, l’État a dû mobiliser des milliards supplémentaires, et la société exploitante accumule déjà des pertes.
Chaque billet vendu – entre 250 000 et 350 000 roupies indonésiennes (IDR), soit actuellement environ 15 à 22 euros (EUR) – contribue à remplir les rames, mais pas encore les caisses. Les comparaisons avec les bus, bien moins chers, alimentent les doutes : le Whoosh restera-t-il un moyen de transport élitiste, ou pourra-t-il s’imposer comme une véritable solution de masse ?
La dette, elle, est bien réelle. Certains économistes parlent d’« épée de Damoclès », un poids budgétaire qui pourrait limiter d’autres investissements stratégiques du pays.
Une fierté nationale, mais une question d’avenir
Le Whoosh incarne l’ambition et les contradictions de l’Indonésie contemporaine : un projet de prestige qui change concrètement la vie de millions de voyageurs, tout en faisant peser une lourde incertitude financière.
Dans les gares futuristes, l’atmosphère respire la modernité : familles photographiant le train, jeunes connectés partageant leur trajet en direct, hommes d’affaires arrivant à Bandung sans subir le supplice des bouchons. Mais au-delà de cette euphorie collective, un dilemme demeure : le Whoosh sera-t-il un levier de prospérité durable ou un symbole coûteux d’un rêve d’infrastructure trop grand, trop vite ?
Cette interrogation rejoint la mise en garde formulée par Ignasius Jonan, ancien ministre des Transports, qui s’était opposé au projet dès son lancement. Selon lui, l’Indonésie aurait dû d’abord investir dans un réseau ferroviaire classique, mais étendu dans tout l’archipel, afin de répondre aux besoins essentiels de mobilité et de logistique. Le TGV Jakarta–Bandung, vitrine de modernité, risque ainsi de détourner des ressources considérables au détriment d’une priorité plus fondamentale : connecter durablement les villes et régions indonésiennes entre elles.