Les Étudiants Indonésiens : De la Contestation à la Complicité – Une Histoire de Trahison Répétée
Depuis les années 1960, les étudiants indonésiens occupent une place centrale en tant que porteurs d’idéaux et acteurs de transformation.
La Jeunesse en Dilemme
Sous Sukarno ou l'Orde Lama (1945-1966), ils étaient la conscience critique de la nation, animés par la conviction que leur énergie et leur courage pouvaient transformer le pays.
Cependant, déjà à cette époque, certains étaient séduits par des promesses matérielles ou des perspectives de carrière. L'idéal semblait noble, mais fragile face aux réalités de la survie et aux pressions du pouvoir central.
L'Orde Baru : La Cooptation Systématique
Sous Suharto, l'Orde Baru (1966-1998) a mis en place une stratégie subtile mais efficace : coopter la jeunesse pour légitimer le régime.
Les organisations étudiantes furent infiltrées, financées et manipulées pour servir le pouvoir. Les leaders charismatiques qui osaient défier l'autorité étaient marginalisés ou éliminés politiquement, tandis que ceux qui acceptaient les bourses, les emplois et les postes administratifs devenaient des instruments de légitimation.
La militance, autrefois symbole de courage et de critique, se marchandise : la sécurité matérielle devient un attrait difficile à refuser, le clientélisme une réalité incontournable, et l'absence de culture institutionnelle de critique durable transforme l'étudiant idéal en acteur fragile, souvent récupérable.
La Réforme : Une Illusion de Changement
La chute de Suharto en 1998 a été largement attribuée aux mobilisations étudiantes, perçues comme héroïques et courageuses.
Cependant, après le succès initial, de nombreux acteurs étudiants se sont rapidement insérés dans le système politique qu'ils prétendaient critiquer. Des partis politiques, des institutions publiques et des entreprises ont accueilli ces jeunes "héros de la rue" dans des rôles de pouvoir, souvent plus intéressés par l'accès aux ressources et aux privilèges que par la réalisation d'un projet collectif.
Le cycle se répète : la militance se transforme en complicité, les idéaux d'hier se diluent dans les logiques de survie et de clientélisme.
L'Insurrection de 2025 : Une Nouvelle Vague de Contestation
Fin août 2025, une nouvelle vague de manifestations secoue l'Indonésie. Des milliers d'étudiants, de lycéens et d'activistes se rassemblent devant le Parlement à Jakarta, protestant contre les mesures d'austérité du gouvernement de Prabowo Subianto, notamment l'octroi d'une allocation logement de 50 millions de roupies aux législateurs, alors que les conditions de vie des classes populaires se détériorent.
La colère s'intensifie après la mort d'un jeune homme renversé par un véhicule de police, entraînant des affrontements violents dans plusieurs villes du pays : des bâtiments gouvernementaux sont pris d'assaut et incendiés, tandis que les résidences luxueuses de certains politiciens sont pillées.
Cette insurrection, baptisée 17+8, symbolisant l’indépendance de l’Indonésie (17 août) ainsi que ses 25 revendications citoyennes, constitue la mobilisation populaire la plus importante depuis la chute de Suharto. Elle témoigne d'une jeunesse indignée, mais aussi d'une société prête à se révolter face à l'injustice et à réclamer une refondation démocratique où la transparence et la responsabilité politique s'imposent désormais comme des impératifs. Les pancartes, les slogans et les chants résonnaient comme un écho de toutes les réformes promises et jamais réalisées.
Une Jeunesse Toujours Prête à Se Vendre ?
Pourtant, aussi soudainement que la vague s’était levée, elle s’est dissipée. Début septembre, les manifestations se sont raréfiées, les rues se sont vidées, tandis que les revendications sont restées en grande partie sans réponse. Comment expliquer un tel retournement ?
En coulisses, on peut imaginer que les discours officiels se sont multipliés :
« Pourquoi persister dans la contestation et alimenter les divisions du pays ? Mieux vaut unir nos forces et coopérer pour bâtir ensemble la nation. »
Une rhétorique artificielle, répétée et prévisible, qui masque le vrai mécanisme : neutraliser la contestation tout en récupérant ceux qui peuvent encore servir le pouvoir.
Une Réflexion Nécessaire
Cette semaine de protestations montre une fois de plus la dualité de la jeunesse indonésienne : capable d’un courage et d’une créativité immense, mais confrontée à un système capable de la canaliser, de la coopter ou de la réduire au silence.
La question reste ouverte : combien de ces jeunes resteront fidèles à leurs idéaux, et combien finiront par se laisser séduire par les promesses du pouvoir ?
Cet article ne prétend pas dresser un portrait de l’ensemble des étudiants indonésiens, mais analyser les dynamiques qui, historiquement, ont souvent mis la jeunesse en position de vulnérabilité face aux structures de pouvoir.
17+8 : mobilisation suspendue ou enterrée ?
- Le 5 septembre, les étudiants ont levé le camp devant le Parlement, et la manifestation s’est muée en pique-nique contestataire.
- Ce qui a été obtenu : révocation de quelques parlementaires, suppression des indemnités de logement pour les députés, suspension des voyages officiels à l’étranger.
- Ce qui reste en suspens : libération des manifestants arrêtés, création d’une commission d’enquête indépendante, transparence totale des budgets publics, saisie des avoirs des auteurs de corruption, retrait des militaires des sphères publiques, et bien d’autres mesures.
- La controverse : la baisse brutale de la mobilisation dans la rue alimente les soupçons d’une cooptation par le pouvoir, un secret de Polichinelle qui laisse planer un doute sur l’indépendance réelle du mouvement. Certains meneurs pourraient se voir offrir des postes — conseiller spécial, administrateur dans une entreprise publique, jeune candidat aux élections, ou fonctions bureaucratiques.
- L’opinion publique reste en alerte, exigeant des réponses concrètes aux revendications centrales. Depuis le 5 septembre, l’absence du peuple dans les rassemblements et la diffusion virale de certains contenus donnent l’impression d’une opposition minutieusement mise en scène, un véritable spectacle politique destiné à tromper l’opinion : on fait croire que la cause progresse, alors qu’en réalité tout tourne en rond.