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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 8 juin 2025

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Le silence gênant de la Gauche française face à la vente d’armes

La Gauche, qui se veut garante de justice et de paix, reste silencieuse face à l’exportation massive d’armes françaises à des régimes autoritaires. Ce double langage trahit ses valeurs et alimente conflits et répressions. Il est temps d’exiger une vraie rupture : priorité à la culture, à la philosophie et à la défense des droits humains, pas aux ventes d’armes.

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Le silence gênant de la Gauche française face à la vente d’armes

La Gauche française, historiquement porteuse d’un projet socialiste fondé sur la justice sociale, la solidarité et la défense des droits humains, affiche depuis des décennies un discours critique à l’égard des violences d’État et des oppressions.

Pourtant, lorsqu’il s’agit de la vente d’armes françaises, cette même Gauche révèle une étonnante complaisance. Même lorsqu’elle n’est plus au pouvoir, elle ne prend jamais clairement position contre ces exportations controversées, pourtant en totale contradiction avec ses valeurs affichées.

La France, un géant des exportations d’armes

En réalité, la France est le deuxième exportateur mondial d’armes, juste derrière les États-Unis, et devant la Russie. En 2023, le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute) estimait que la France représente environ 17% des exportations mondiales d’armes, avec un chiffre d’affaires annuel dépassant souvent les 10 milliards d’euros. Ces armes sophistiquées comprennent avions de combat, hélicoptères, navires, missiles et autres matériels militaires lourds.

Cette industrie est un pilier économique stratégique, générant des milliers d’emplois et constituant un levier important d’influence géopolitique. Pourtant, elle est aussi un facteur majeur de violences, souvent utilisées pour réprimer les populations civiles ou alimenter des conflits armés meurtriers.

Des clients controversés : Égypte, Arabie Saoudite, Indonésie

Les principaux clients de la France sont souvent des régimes autoritaires ou engagés dans des conflits aux lourdes conséquences humanitaires. L’Égypte, dirigée par un régime répressif, utilise les armes françaises pour contrôler violemment son territoire et réprimer l’opposition. L’Arabie Saoudite, quant à elle, a reçu des équipements militaires français alors qu’elle mène une guerre dévastatrice au Yémen, où des millions de civils vivent dans des conditions catastrophiques.

L’Indonésie, autre bénéficiaire, s’appuie sur ces armes pour renforcer son contrôle dans des régions sensibles, dont la Papouasie occidentale, où des accusations de violations des droits humains sont récurrentes.

Pourquoi la Gauche ne s’oppose-t-elle pas clairement ?

Cette complaisance soulève une question cruciale : pourquoi la Gauche, même dans l’opposition, ne dénonce-t-elle jamais clairement cette politique ?

Plusieurs hypothèses se dégagent :

1. Intérêts économiques et stratégiques : L’industrie de l’armement est un secteur économique clé, avec une forte implantation régionale et nationale. Même la Gauche, consciente des enjeux sociaux, peut hésiter à attaquer frontalement un secteur qui génère de nombreux emplois, notamment dans des régions où elle a des électeurs.

2. Realpolitik et ambitions internationales : La vente d’armes est aussi un levier de politique étrangère. Pour la Gauche, critiquer ouvertement ces ventes pourrait être perçu comme une faiblesse sur la scène internationale, alors qu’elle cherche à se positionner comme un acteur responsable et pragmatique.

3. Une posture politique ambiguë : La gauche contemporaine a souvent évolué vers des compromis, tentant de concilier idéaux et réalités du pouvoir. Elle redoute sans doute de perdre une partie de son électorat modéré ou de se marginaliser politiquement en adoptant des positions trop radicales.

4. Une frilosité généralisée, y compris chez les communistes : Même les partis dits d’extrême gauche, traditionnellement plus radicaux sur les questions antimilitaristes, se montrent souvent frileux lorsqu’il s’agit d’aborder la question des ventes d’armes françaises. Ce silence traduit une peur de perdre en influence ou de s’aliéner des secteurs populaires concernés par l’emploi dans l’industrie de l’armement.

5. Manque de pression populaire et médiatique : Le sujet des ventes d’armes reste largement absent du débat public. La complexité du sujet et son éloignement du quotidien des citoyens expliquent une certaine inertie.

Les contradictions d’un double langage

Cette position ambiguë crée une double contrainte : la Gauche revendique la défense des droits humains tout en restant silencieuse sur les armes qu’elle contribue indirectement à exporter. Ce silence alimente une forme d’hypocrisie politique qui fragilise la confiance populaire.

Il en résulte une forme d’instrumentalisation cynique où la parole se dissocie des actes, où la morale sociale est sacrifiée sur l’autel des intérêts économiques et géopolitiques. Cette contradiction est d’autant plus flagrante que certains pays aux traditions politiques progressistes — comme la Norvège ou, historiquement, les Pays-Bas — ont su, dans certains cas, instaurer des moratoires ou renforcer les contrôles sur leurs exportations d’armes. 

Un appel à la cohérence morale

Anatole France disait : « La guerre, c’est la lâcheté des peuples. » Cette citation rappelle que le courage politique consiste à affronter les vérités difficiles, et non à fermer les yeux sur ce qui dérange.

Jean Jaurès, quant à lui, insistait sur la nécessité de dire la vérité face au « mensonge triomphant ». Or, ne pas dénoncer la vente d’armes à des régimes répressifs est une forme de complicité passive avec ce « mensonge ».

Le vrai rayonnement de la France : culture, philosophie, justice

Le vrai rayonnement de la France ne doit pas se mesurer à l’ampleur de ses ventes d’armes, mais à la richesse de sa culture, à la force de sa philosophie, et à son engagement pour la justice sociale et les droits humains. C’est dans ces domaines que la France peut véritablement inspirer le monde.

Une Gauche face à ses responsabilités

Pour retrouver sa crédibilité et sa cohérence, la Gauche doit rompre avec ses silences et ses compromis. Elle a tout à gagner à assumer une position claire et résolue contre le commerce d’armes, qui alimente guerres, répressions et violations des droits humains.

Ce n’est qu’en restant fidèle à ses principes qu’elle pourra œuvrer pour un avenir plus juste et pacifique. Comme le rappelait Léon Blum, le socialisme est avant tout une vision éthique et morale.

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