Macron en Indonésie : entre modernité républicaine et opposition conservatrice
Depuis son accession à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron a su projeter une image d’homme d’État moderne, dynamique, et stratège sur la scène internationale. En Indonésie, cette figure politique suscite des opinions contrastées. Loué par une partie des élites urbaines pour sa vision économique et diplomatique, Macron reste profondément impopulaire dans les milieux musulmans conservateurs, qui le voient comme une incarnation de l’arrogance laïque occidentale vis-à-vis de l’islam. Cette ambivalence s’est cristallisée notamment depuis l’affaire Samuel Paty en 2020, et s’est réactivée lors de la dernière visite du président français à Jakarta, fin mai 2025.
Le président réformateur vu comme modèle de modernité
Dans les cercles francophones, économiques et diplomatiques d’Indonésie, Emmanuel Macron reste apprécié comme un président jeune, compétent, et résolument tourné vers l’avenir. Son approche libérale, sa rhétorique technocratique, et sa capacité à défendre les intérêts français dans un monde instable lui ont valu un certain respect. De nombreux universitaires et journalistes indonésiens l’ont même comparé à Joko Widodo, dans sa volonté de réformer une administration lourde et d’adapter l’État aux exigences du XXIe siècle.
Les projets d’accords bilatéraux entre Paris et Jakarta — notamment dans le domaine de la défense avec l’achat d’avions Rafale, ou dans l’éducation avec la coopération universitaire — sont vus comme des signes d’une relation stratégique croissante entre les deux pays. En mai 2025, lors de sa visite officielle en Indonésie dans le cadre du Forum Indo-Pacifique, Macron a été accueilli chaleureusement par le président Prabowo Subianto, et plusieurs partenariats économiques et maritimes ont été renouvelés. Cette alliance sert aussi de contrepoids diplomatique face à la montée en puissance de la Chine dans la région.
Le choc culturel : caricatures, laïcité et perception islamique
Cependant, cette image du président stratège est fortement brouillée par la perception dominante dans la majorité musulmane conservatrice du pays. Depuis l’affaire Samuel Paty, Emmanuel Macron est considéré par de nombreux Indonésiens pieux comme un symbole d’une Europe qui méprise l’islam au nom de la liberté d’expression. Sa déclaration publique de 2020 — « Nous ne renoncerons jamais aux caricatures » — a été largement diffusée en Indonésie, sans que le contexte républicain français ne soit toujours compris ou relayé.
Dans un pays où l’islam joue un rôle majeur dans la vie sociale et politique, la laïcité radicale française reste mal perçue. Le refus catégorique d’accommoder les signes religieux dans l’espace public, ou les discours sur le « séparatisme islamiste », sont interprétés comme une hostilité ouverte à l’islam en général. Un étudiant musulman indonésien a affirmé à propos de Macron : « Il défend la liberté comme une arme contre nous. Il ne cherche pas le dialogue, il impose ses valeurs. »
Ce rejet s'est intensifié au fil des années. Les caricatures de Mahomet, les restrictions sur le port du voile dans l’administration, les dissolutions d’associations musulmanes en France — tout cela nourrit une image d’un président autoritaire et islamophobe dans une partie de l’opinion publique indonésienne. Cette perception est également entretenue par certains médias islamiques en ligne et les réseaux sociaux, qui diffusent des analyses alarmistes ou des contenus polarisants.
Par ailleurs, le soutien français à Israël, notamment dans le cadre des conflits au Moyen-Orient, vient renforcer ce ressentiment, en alimentant l’idée d’une France peu respectueuse des droits des musulmans à l’échelle internationale.
Une visite marquée par des tensions latentes
Bien que la visite du président Emmanuel Macron en Indonésie en mai 2025 n’ait pas suscité de manifestations publiques massives, elle a néanmoins provoqué des réactions virulentes dans certains cercles islamistes conservateurs. Plusieurs plateformes et médias d’orientation islamique ont publié des articles critiquant la coopération stratégique croissante entre l’Indonésie et la France, en particulier dans les domaines militaire et sécuritaire.
Des voix se sont élevées pour dénoncer la signature d’accords considérés comme menaçants pour la souveraineté et les valeurs religieuses du pays. Des sites comme Media Umat ont accusé la France de « menghina Islam » (insulter l’islam), en référence aux prises de position antérieures de Macron sur les caricatures et la laïcité. D’autres plateformes mettent en garde contre une infiltration des valeurs laïques occidentales à travers les accords de coopération, en particulier dans les domaines de l'éducation, de la défense et des technologies.
Bien que ces critiques soient circonscrites à des sphères spécifiques du débat public, elles reflètent une méfiance persistante à l’égard de la politique étrangère française perçue comme néocoloniale ou islamophobe. Elles traduisent aussi une crainte que la collaboration croissante avec Paris ne contribue à affaiblir les fondements religieux et culturels de la nation indonésienne.
En coulisses, des représentants français ont dû agir pour calmer certaines tensions. Lors de cette période, plusieurs rencontres ont eu lieu autour du thème de la « République et de l’islam », visant à encourager une meilleure compréhension du modèle laïque français. Toutefois, le fossé reste profond. L’accueil officiel de Macron par les autorités indonésiennes a contrasté avec la froideur d’une partie de la population, qui continue d’assimiler le président français à une posture occidentale perçue comme arrogante, voire colonialiste.
Conclusion
Emmanuel Macron est, en Indonésie, un président ambivalent : figure d’autorité économique et géopolitique pour les élites, mais repoussoir culturel pour une frange importante de la société musulmane. Cette tension entre coopération stratégique et rejet idéologique illustre les limites du soft power français en terre islamique. Pour beaucoup d’Indonésiens, Macron ne représente pas seulement la France, mais l’Occident rationaliste, réfractaire à l’expression religieuse visible.
Ce n’est pas tant le principe de la laïcité en lui-même qui suscite le malaise, mais plutôt le sentiment qu’il est appliqué de manière unilatérale, sans espace réel de dialogue ou de compréhension mutuelle. Tant que la République française ne prendra pas davantage en compte la dimension affective et religieuse des sociétés partenaires comme l’Indonésie, la méfiance culturelle l’emportera sur la coopération politique.
Voici des articles indonésiens montrant l’inquiétude musulmane face à l’attitude de Macron :
https://www.indonesiana.id/read/183367/ns?utm_
https://muslimahnews.net/2025/06/04/36901/
https://muslimahnews.net/2025/06/03/36877/
https://www.sscqmedia.com/2025/06/sambutan-hangat-untuk-macron-sebuah.html?m=1