Indonésie : incertitude sur la réforme fiscale après le départ de Sri Mulyani
Jakarta. – Le remaniement ministériel annoncé par le président Prabowo Subianto le 8 septembre a pris une tournure inattendue : la ministre des Finances Sri Mulyani Indrawati, figure respectée en Indonésie comme à l’international, a été remplacée par Purbaya Yudhi Sadewa, ancien président de l’agence de garantie des dépôts bancaires.
Une technocrate écartée
Depuis son retour au gouvernement en 2016, Sri Mulyani a incarné la discipline budgétaire et la modernisation fiscale, s’appuyant sur son expérience internationale comme directrice générale de la Banque mondiale.
Sous sa direction, l’Indonésie a réussi à maintenir un déficit budgétaire inférieur aux projections — autour de 2,3 à 2,7 % du PIB — signe de rigueur et de gestion saine. Son projet le plus ambitieux, encore en chantier, visait à élargir l’assiette fiscale et à faire contribuer davantage les grandes fortunes et les multinationales.
Dans un pays où le taux de recouvrement reste parmi les plus bas d’Asie du Sud-Est (environ 10 % du PIB), la réforme portée par Sri Mulyani visait à faire contribuer davantage les plus riches, jugés insuffisamment imposés, tout en renforçant la lutte contre l’évasion, afin de financer infrastructures, éducation et santé.
Son départ soulève donc une question immédiate : la réforme fiscale survivra-t-elle sans elle ?
Purbaya face à un héritage délicat
Son successeur, Purbaya Yudhi Sadewa, économiste de formation, a promis de stimuler rapidement la croissance, affirmant que « 8 % n’est pas impossible ». Mais cette ambition, centrée sur la croissance nominale, laisse planer un doute : la discipline fiscale et l’élargissement de l’impôt resteront-ils prioritaires ?
Les analystes s’inquiètent d’un possible retour à une politique budgétaire plus souple, orientée vers la dépense, au détriment de la consolidation fiscale.
Marchés et confiance
Pour un pays qui doit déjà composer avec une dette publique en hausse et une pression populaire contre les privilèges des élites, ce choix pourrait miner la crédibilité financière.
La réaction a été instantanée : à l’ouverture, la Bourse de Jakarta a chuté de 1,3 %, marquant une baisse significative. Les investisseurs étrangers rappellent que Sri Mulyani représentait une garantie de sérieux, notamment auprès des agences de notation. Sa disparition du paysage gouvernemental accroît l’incertitude.
Necker, un précédent historique
L’évocation de Jacques Necker, ministre des Finances de Louis XVI, s’impose presque d’elle-même. Necker avait tenté d’assainir les finances publiques par des réformes impopulaires mais nécessaires, notamment en réduisant les privilèges fiscaux de la noblesse.
De la même manière, Sri Mulyani s’est attaquée aux avantages des élites et aux résistances structurelles d’un système qui protège les puissants : elle a sanctionné des milliers d’agents du fisc corrompus, affronté le magnat Aburizal Bakrie et dénoncé publiquement la capture de ses réformes par des forces politiques enracinées.
Comme Necker, elle jouissait d’une forte crédibilité auprès du public et des marchés financiers. Or, en 1789, le renvoi de Necker fragilisa la monarchie en privant l’État de sa principale caution financière. Le parallèle, bien que lointain, illustre une leçon universelle : écarter une figure reconnue du ministère des Finances affaiblit durablement la confiance et compromet la capacité de l’État à réformer.
Entre promesse de prospérité et spectre de crise
En plaçant Purbaya au centre de sa stratégie, Prabowo semble privilégier la promesse d’une croissance rapide au détriment de la poursuite des réformes structurelles.
Or, sans réforme fiscale robuste, l’Indonésie risque de peiner à mobiliser les ressources indispensables à son développement et à préserver la confiance des investisseurs. Faut-il redouter, dans ces conditions, l’émergence d’une nouvelle crise économique et monétaire ?
Sri Mulyani : héritage incertain, bilan incontestable
L’héritage de Sri Mulyani demeure complexe : si les réformes ambitieuses qu’elle a engagées risquent de voir leur mise en œuvre retardée, son action n’a pas été exempte de zones d’ombre, entre politiques budgétaires parfois jugées trop austéritaires et compromis avec certaines élites nationales.
Cependant, le constat est implacable : en quinze ans au ministère des Finances, sous trois présidents, elle a maintenu l’Indonésie à flot, évitant la faillite après la crise asiatique, traversant la tourmente de 2008 et soutenant le pays face au choc brutal de la pandémie de COVID‑19.
Source :
https://ch.zonebourse.com/actualite-bourse/reactions-des-analystes-a-la-nomination-du-nouveau-ministre-des-finances-en-indonesie-ce7d59dedd81f62d