Le mythe toxique du 5 % dans les pays émergents
Depuis des années, dans de nombreux pays dits « émergents », les gouvernements, les institutions financières internationales et les élites économiques nous répètent le même refrain : « Notre économie croît de 5 %, tout va bien, nous avançons vers la prospérité. » Ce chiffre est brandi comme une bannière triomphante, un symbole de stabilité et de succès. Mais en vérité, ce 5 % n’est pas un signe de progrès pour le peuple : c’est un mirage, une illusion, une arme idéologique qui cache les réalités brutales d’exploitation, d’inégalités et de destruction.
La croissance économique, telle qu’elle est mesurée et glorifiée, n’est rien d’autre qu’un fétiche statistique. Elle sert de rideau de fumée pour masquer la dépossession des peuples, la marchandisation de la vie et le saccage de la planète. Il est temps de déchirer ce voile et de poser la seule question qui vaille : croissance pour qui, et à quel prix ?
Le fétichisme du chiffre
Le produit intérieur brut (PIB) ne mesure ni le bonheur, ni la justice sociale, ni la dignité humaine. Qu’une forêt soit détruite ou qu’un enfant aille à l’école : pour le PIB, cela revient au même, tant que cela génère une transaction marchande.
Le fameux seuil de 5 % n’a aucune valeur scientifique universelle. C’est une construction politique, un signal envoyé aux marchés et aux investisseurs pour dire : « Ici, vos capitaux sont en sécurité. » Mais ce chiffre, répété comme un mantra, sert surtout à anesthésier la critique populaire et à détourner l’attention des inégalités sociales et des destructions écologiques.
La croissance comme néocolonialisme
En effet, la croissance à 5 % repose sur l’exportation des matières premières : pétrole, gaz, minerais, bois, plantations industrielles. Mais cette richesse n’est pas construite pour les peuples. Elle est captée par les multinationales, par les élites compradores et par les marchés mondiaux.
Ce modèle est une réédition moderne du colonialisme : les ressources locales sont extraites, la terre est ravagée, les communautés sont dépossédées, et les bénéfices s’envolent ailleurs. La croissance ne signifie donc pas développement, mais continuation du pillage sous un habillage technocratique.
Les sacrifiés du modèle
Dans ces économies émergentes, derrière les chiffres flatteurs, les réalités sociales sont implacables. On trouve encore des millions de chômeurs, de travailleurs précaires, de familles entassées dans des bidonvilles, de paysans chassés de leurs terres.
La croissance profite à une minorité : les classes moyennes urbaines, connectées à la mondialisation, et surtout les élites politico-économiques. Mais les peuples autochtones, les zones rurales, les quartiers populaires sont exclus de cette prospérité illusoire. La croissance de 5 % est donc une croissance contre le peuple, qui accroît les fractures sociales au lieu de les résorber.
Le coût écologique du mythe
Ce modèle de croissance repose sur une prédation sans limites. Pour alimenter le PIB, on abat les forêts, on détourne les rivières, on empoisonne les sols, on détruit la biodiversité.
Le paradoxe est violent : plus un pays détruit son environnement au profit des exportations, plus son PIB augmente. La croissance devient alors synonyme d’écocide. Or, si l’on soustrayait des chiffres du PIB les coûts réels de la déforestation, de la pollution et du changement climatique, cette fameuse croissance de 5 % s’effondrerait en réalité en croissance négative.
L’indice du bonheur : un outil plus fiable
Contrairement au PIB, l’indice du bonheur national brut (BNB) ou les indicateurs de bien-être permettent de mesurer ce qui compte réellement : la santé, l’éducation, l’équité sociale, la qualité de l’environnement et le sentiment de sécurité et de dignité des citoyens.
Dans les pays émergents, il est fréquent de constater un paradoxe : le PIB augmente rapidement, mais les populations ne se sentent pas plus heureuses, plus sûres ou mieux protégées. Les inégalités se creusent, les services publics s’effondrent, les écosystèmes sont dégradés. Le BNB révèle la vraie vie des peuples et dénonce l’illusion créée par la croissance macroéconomique.
Mesurer le progrès par le bonheur, la santé, l’accès à l’éducation, la sécurité alimentaire et la préservation de l’environnement est plus concret, plus humain et plus juste que de se limiter à un chiffre abstrait.
La croissance contre la démocratie
Le culte du 5 % sert aussi d’outil disciplinaire. Les gouvernements, au nom de ce chiffre magique, imposent des réformes néolibérales : privatisations, austérité budgétaire, dérégulation du travail. Tout est justifié par la nécessité de « rassurer les marchés » et de « maintenir la confiance des investisseurs ».
Mais derrière cette rhétorique se cache une réalité politique : la croissance est utilisée comme une arme pour museler la contestation, pour réduire au silence ceux qui réclament la redistribution, la justice sociale et la souveraineté populaire.
Briser le mensonge, inventer d’autres voies
Déconstruire le mythe de la croissance à 5 %, surtout dans les pays émergents, ce n’est pas prôner la stagnation ou le repli. C’est refuser une logique qui sacrifie l’humain et la nature sur l’autel du PIB. D’autres voies existent :
- Mesurer autrement : indicateurs de bien-être et indices de bonheur, qui reflètent la qualité de vie réelle.
- Redistribuer réellement : que les richesses produites servent à réduire les inégalités, à financer l’éducation, la santé, le logement.
- Respecter les limites écologiques : construire une économie régénérative, fondée sur la protection de la terre et des communautés.
- Renforcer la démocratie populaire : replacer les peuples au centre des décisions économiques, contre les diktats des marchés.
Sortir de l’illusion
Dans les pays émergents, la croissance de 5 % est un mirage, un piège, une illusion dangereuse. Elle ne nourrit pas les ventres vides, elle ne soigne pas les malades, elle ne rend pas la terre fertile, elle ne redonne pas la dignité aux opprimés. Elle nourrit surtout les profits des élites et la voracité du capital globalisé.
Nous devons refuser ce langage qui transforme les peuples en simples variables économiques. Il est temps d’affirmer que la vraie prospérité ne se mesure pas en pourcentages, mais en dignité, en justice et en vie partagée. Et c’est là que l’indice du bonheur et les indicateurs de bien-être deviennent nos boussoles pour un monde réellement humain et durable.
Tant que nous n’aurons pas brisé le mythe du 5 %, les Pays du Sud resteront prisonniers d’une illusion mortifère. Mais en éveillant les consciences, nous pouvons ouvrir le chemin d’une économie réellement humaine, solidaire et écologique.