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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 8 octobre 2025

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Bali : de foyer contestataire à paradis touristique

Bali évoque d’abord un paradis touristique : temples, rizières, plages. Mais derrière cette image idyllique se cache un passé sombre. Dans les années 1960, l’île fut un foyer de contestation politique et subit l’une des répressions anticommunistes les plus violentes d’Indonésie.

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Bali : de foyer contestataire à paradis touristique

Quand on évoque Bali, ce sont d’abord les images d’une île idyllique qui surgissent : rizières en terrasse, temples hindous baignés d’offrandes fleuries, plages fréquentées par des surfeurs du monde entier. Pourtant, derrière cette carte postale soigneusement façonnée par l’industrie touristique et l’État indonésien, se cache une histoire plus sombre, souvent passée sous silence. Dans les années 1960, Bali fut l’un des principaux foyers de contestation politique de l’archipel et l’un des lieux où la répression anticommuniste de 1965-1966 fut la plus sanglante.

Un bastion de gauche dans les années 1950-1960

Contrairement à l’image d’une île isolée dans son particularisme religieux, Bali a joué un rôle politique de premier plan dans l’Indonésie d’après l’indépendance. Dans les années 1950, le Parti communiste indonésien (PKI) y bénéficiait d’un enracinement massif : il représentait près d’un quart de l’électorat balinais, grâce à son implantation dans les syndicats paysans et dans les structures de solidarité locales. Le PKI apparaissait comme une force de modernisation sociale, prônant une réforme agraire qui séduisait les petits paysans, souvent endettés et soumis à des hiérarchies traditionnelles rigides.

La société balinaise, structurée autour des castes et des villages communautaires (banjar), était traversée de tensions sociales profondes. Les réformes promises par le PKI menaçaient directement les élites traditionnelles — prêtres, propriétaires fonciers et notables. C’est dans ce terreau conflictuel que s’est nouée la tragédie de 1965.

Le massacre de 1965-1966 : une plaie invisible

Après la tentative de coup d’État du 30 septembre 1965, attribuée au PKI, le général Suharto lança une vaste campagne de répression contre les communistes, avec l’appui de l’armée, des milices civiles et parfois des religieux. Bali fut l’un des épicentres de cette purge.

Entre la fin 1965 et le début 1966, l’île devint le théâtre d’une tuerie de masse : entre 50 000 et 100 000 personnes furent exécutées — soit près de 5 % de la population balinaise de l’époque. Les violences furent d’une brutalité extrême, menées souvent au niveau villageois, avec la participation active de voisins contre voisins.

Le paradoxe balinais réside dans le fait que cette répression prit une dimension quasi-rituelle : les massacres furent parfois justifiés par des leaders religieux comme une purification nécessaire, destinée à restaurer l’harmonie cosmique troublée par les communistes. Cette assimilation de la violence politique à un sacrifice rituel accentua le silence collectif qui suivit.

De la terreur à l’oubli organisé

Sous le régime de Suharto (1966-1998), le récit officiel réduisit Bali à une vitrine culturelle et touristique. L’île devint le laboratoire de la politique du « tourisme de masse » que l’État indonésien entendait développer pour attirer des devises. Tandis que les survivants et les familles des victimes étaient stigmatisés, les représentations de Bali furent transformées : on mit en avant son exotisme hindou, ses danses et ses cérémonies, en gommant toute mémoire du massacre.

Cette entreprise d’oubli n’était pas anodine : elle servait à masquer le fait que l’une des provinces les plus idylliques aux yeux des étrangers avait été le théâtre d’une véritable hécatombe politique.

Le « paradis » façonné par le tourisme

À partir des années 1970, Bali fut promue comme la vitrine internationale de l’Indonésie. Le contraste entre l’image du « paradis des dieux » et la réalité d’une île meurtrie par les violences politiques ne cessa de grandir. La culture balinaise fut folklorisée pour répondre aux attentes des touristes occidentaux : les cérémonies religieuses devinrent des spectacles, et les villages furent intégrés dans les circuits balisés.

Le développement touristique transforma radicalement la société balinaise : urbanisation, spéculation foncière, marginalisation des paysans. Mais il contribua aussi à recouvrir d’un voile épais l’histoire contestataire de l’île.

Mémoire et résistances

Aujourd’hui, le massacre de 1965 reste un sujet sensible à Bali comme ailleurs en Indonésie. La parole des survivants n’a commencé à émerger que timidement depuis la chute de Suharto. Des chercheurs, écrivains et cinéastes tentent de briser le silence, rappelant que derrière le « paradis balinais » se cache l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire contemporaine indonésienne.

La mémoire refoulée de 1965 rappelle qu’avant d’être un décor pour touristes, Bali fut une terre de luttes sociales et politiques intenses — et que son « paradis » actuel est aussi le fruit d’une pacification brutale.

Source :

https://www.bbc.com/indonesia/articles/ckgexr2n031o

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