Le piège du TGV chinois en Indonésie
L’Indonésie s’est longtemps enorgueillie de son train à grande vitesse Jakarta–Bandung — le premier d’Asie du Sud-Est, fruit du partenariat « fraternel » avec la Chine. Aujourd’hui, ce projet-vitrine est devenu un gouffre financier et un symbole embarrassant d’un rêve d’infrastructure transformé en cauchemar budgétaire.
Au cœur du tumulte, le ministre de l’Investissement, Rosan Perkasa Roeslani, tente de sauver ce qui peut encore l’être. Sa mission : réformer la dette du projet KCIC (Kereta Cepat Indonesia China), dont les pertes s’accumulent et la viabilité s’effondre.
Un projet en surchauffe
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
PT Pilar Sinergi BUMN Indonesia (PSBI), filiale de KAI et actionnaire principal du consortium, a enregistré plus de 4 000 milliards de roupies de pertes en 2024, et déjà 2 300 milliards supplémentaires au premier semestre 2025.
L’équation est simple : le projet coûte plus qu’il ne rapporte, et il s’endette pour combler les trous.
La China Development Bank (CDB), bras financier de Pékin, a déjà prêté près de 7 000 milliards de roupies supplémentaires pour couvrir les dépassements. Autrement dit, chaque kilomètre de rail pèse un peu plus lourd sur la dette indonésienne.
« Réforme » ou simple rustine ?
Face à l’impasse, Rosan choisit ses mots avec soin.
Pas de « restructuration », dit-il — trop connotée d’échec. Il préfère parler de réforme de la dette, une refonte totale censée empêcher « tout risque de défaut à l’avenir ».
Mais derrière cette sémantique diplomatique, la réalité est plus âpre : Jakarta cherche désespérément à desserrer l’étreinte de la CDB, sans pour autant froisser Pékin.
Le gouvernement indonésien marche sur une ligne fine : réclamer de l’air sans paraître ingrat envers son partenaire chinois, qui détient à la fois les fonds, la technologie et les leviers politiques.
Le spectre du « piège de la dette »
Car c’est bien là le mot qui fâche : le piège de la dette.
L’expression évoque la stratégie, souvent reprochée à la Chine, consistant à financer des infrastructures à crédit pour mieux en contrôler ensuite les leviers économiques ou géopolitiques.
Certains observateurs l’ont vu à Hambantota, au Sri Lanka, où Pékin a récupéré un port stratégique. D’autres le craignent à Lusaka, à Nairobi ou à Phnom Penh. Et aujourd’hui, c’est Jakarta qui se débat dans ses chiffres rouges.
Rosan le sait : le KCJB n’est plus seulement un projet ferroviaire, c’est un test de souveraineté financière.
Continuer à emprunter auprès du même créancier pour rembourser l’ancien prêt, c’est s’enfermer dans une dépendance structurelle. D’où cette idée de réforme, qui n’est pas seulement comptable, mais aussi politique : redéfinir la relation économique avec la Chine avant qu’elle ne se transforme en tutelle.
Les leçons pour Jakarta–Surabaya
L’Indonésie prépare déjà son prochain grand chantier : la ligne à grande vitesse Jakarta–Surabaya.
Rosan assure que les erreurs du premier projet ne seront pas répétées. Mais comment garantir cela quand les structures de financement restent les mêmes ?
Sans transparence sur les coûts réels, sans contrôle parlementaire fort, sans équilibre entre les partenaires, l’histoire risque de se répéter : un projet lancé dans l’euphorie nationale, puis rattrapé par les chiffres.
Pékin sourit, Jakarta paie
La Chine, elle, reste calme.
Ses entreprises ont vendu leurs technologies, ses banques ont placé leurs crédits, et ses diplomates parlent toujours de « coopération gagnant-gagnant ».
Mais à Jakarta, le gain se mesure désormais en milliards de pertes et en dettes à long terme.
Rosan tente d’alléger le fardeau — et peut-être aussi de sauver la face d’un gouvernement qui s’était voulu pionnier de la modernité régionale.
Derrière les chiffres, une vérité s’impose : la vitesse peut être un luxe coûteux quand on emprunte le rail de la dépendance.
Source :
https://tirto.id/negosiasi-dengan-cina-rosan-minta-reformasi-utang-kereta-cepat-hjcu