Le retour d’une ombre inquiétante sur l’Indonésie de 2025
Jakarta, 14 juillet 2025. Le rapport d’Amnesty International Indonésie tombe comme une gifle. Entre janvier et juin, au moins 104 défenseurs des droits humains ont été attaqués dans 54 affaires distinctes — un chiffre accablant qui ramène à la mémoire collective des heures sombres qu’on croyait révolues. Le mois de mai concentre à lui seul 35 victimes. Les défenseurs autochtones (36) et les journalistes (31) se trouvent en première ligne, mais la liste s’allonge : activistes étudiants, militants écologistes, universitaires, leaders communautaires, pêcheurs, opposants à la corruption… Tous pris dans une spirale de répression.
Des méthodes qui rappellent un passé autoritaire
Les méthodes rappellent un passé qu’on aurait voulu oublier : rapports policiers fabriqués, arrestations arbitraires, procédures judiciaires instrumentalisées, intimidations, violences physiques. Amnesty dénonce une militarisation croissante des espaces civils, où l’uniforme inspire moins la confiance que la crainte.
La police apparaît comme l’acteur le plus souvent impliqué, citée dans près de 20 cas sur 53 documentés. Pour un État censé protéger ses citoyens, le constat est cruel : c’est parfois la main de l’autorité qui frappe en premier. Le souvenir reste vif du scandale de 2024 à Gome, en Papouasie, où des forces armées ont torturé et causé la mort d’un habitant, sans qu’aucune poursuite significative n’ait suivi.
Les médias dans la ligne de mire
Les médias critiques paient aussi un lourd tribut. Début 2025, l’hebdomadaire d’investigation Tempo reçoit une tête de cochon décapitée, suivie d’une boîte contenant six rats sans tête. Menaces macabres, claires dans leur message : se taire ou subir. D’autres journalistes voient leurs téléphones confisqués, leurs images effacées, sont agressés en pleine rue, ou subissent des attaques numériques massives visant à bloquer leurs sites. Human Rights Watch alerte sur une tendance qui mine durablement la liberté de la presse.
La bataille pour la mémoire historique
Comme pour sceller cette atmosphère, le gouvernement prépare la diffusion, le 17 août, d’une nouvelle série de manuels d’histoire en dix volumes. Officiellement, il s’agit de corriger et de moderniser l’enseignement. Officieusement, des historiens redoutent une réécriture sélective, minimisant les abus de la « Nouvelle Ère » et réhabilitant des figures autoritaires. La manœuvre viserait surtout une jeunesse qui n’a pas connu les années Suharto, et dont la mémoire historique peut encore être modelée.
Dans ce contexte, la décision de la Cour constitutionnelle début mai a offert un mince répit : elle a limité l’usage abusif de la loi sur les informations et transactions électroniques (ITE), en précisant que seules les personnes physiques, et non les institutions, peuvent porter plainte pour diffamation. Une victoire fragile pour la liberté d’expression, dans un paysage politique où les contre-pouvoirs semblent s’effriter.
Un pays à la croisée des chemins
Ce n’est pas encore un retour complet aux années 1970, mais les symptômes s’accumulent : militarisation des espaces civils, criminalisation du journalisme, révision du récit national, impunité des forces de sécurité. Comme si le pays, sans l’avouer, marchait à reculons vers un modèle que beaucoup espéraient enterré.
L’Indonésie de 2025 vacille entre deux chemins : préserver un espace démocratique déjà fragilisé ou céder à la tentation de l’ordre imposé. Reste à savoir si la société civile pourra encore conjurer ce fantôme revenu plus vite qu’on ne l’imaginait.
Source :
https://humanrightsmonitor.org/news/amnesty-international-indonesia-documented-104-attacks-against-human-rights-defenders-in-the-first-half-of-2025/