Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 9 août 2025

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Réinventer la démocratie indonésienne à partir de ses racines

Plus de 75 ans après son indépendance, l’Indonésie débat sur l’avenir de sa démocratie : faut-il revenir à la Constitution originelle de 1945 ou poursuivre les réformes post-1998 ? Cet article invite à réinventer la démocratie indonésienne en s’appuyant sur ses racines culturelles et sociales, pour un modèle authentique et adapté à sa diversité.

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Réinventer la démocratie indonésienne à partir de ses racines

La République d’Indonésie, plus de sept décennies après son indépendance, se trouve à un carrefour politique décisif. La Constitution de 1945 (Undang-Undang Dasar 1945), document fondateur de la nation, fait l’objet d’un débat renouvelé : faut-il revenir à sa version originelle, ou continuer sur la voie des aménagements successifs entamés à partir des années 1998 ? Ce débat dépasse la simple question juridique. Il touche à l’essence même de la démocratie indonésienne, à la relation entre le peuple, l’État et la souveraineté populaire. En vérité, la Constitution de 1945, souvent caricaturée comme rigide ou autoritaire, est en réalité un texte porteur d’une démocratie dynamique, intégrée à la complexité socioculturelle de l’Indonésie, et même, dans certains aspects, plus progressiste que beaucoup de constitutions occidentales.

La démocratie à l’indonésienne : au-delà des modèles occidentaux

Il est courant de mesurer la qualité démocratique d’un État à l’aune des modèles occidentaux, souvent parlementaires, où la séparation rigide des pouvoirs et le multipartisme sont la norme. Pourtant, la Constitution de 1945 propose un système politique qui intègre la pluralité ethnique, religieuse et culturelle indonésienne d’une manière profondément originale. La souveraineté populaire y est incarnée non seulement à travers des mécanismes électoraux, mais aussi par la Majelis Permusyawaratan Rakyat (MPR), une assemblée qui incarne la volonté collective dans sa diversité.

Cette conception ne se limite pas à une démocratie formelle, mais inclut une démocratie substantielle, qui intègre la justice sociale, le développement économique et la protection des droits fondamentaux. À cet égard, l’insertion explicite du Pancasila comme fondement idéologique garantit une unité politique qui dépasse le simple accord procédural : elle fonde une communauté de destin.

Les aménagements post-1998 : progrès ou dilution ?

Depuis la chute du régime autoritaire de Suharto, la Constitution a été amendée à plusieurs reprises pour renforcer la séparation des pouvoirs et limiter les prérogatives présidentielles. Si ces réformes visaient à promouvoir la démocratie libérale, elles ont aussi multiplié les complexités institutionnelles, créant parfois des blocages et une instabilité politique accrue.

Le retour à la Constitution originelle n’implique pas une restauration purement formelle, mais une réappropriation critique de ses principes fondateurs. Il s’agit de retrouver un équilibre entre autorité et responsabilité, entre unité nationale et diversité démocratique, plutôt que d’adopter un modèle importé qui ne correspond pas aux réalités indonésiennes.

Une démocratie plus avancée qu’on ne le croit

Il est remarquable que la Constitution de 1945 garantisse des droits sociaux que beaucoup de constitutions occidentales ne mentionnent pas explicitement. Le droit à l’éducation, à la santé, et la reconnaissance de la justice sociale comme mission de l’État en font un texte progressiste. Cette intégration des droits économiques et sociaux à la sphère constitutionnelle souligne une ambition démocratique holistique, où la participation politique ne se limite pas au vote, mais inclut aussi l’émancipation sociale.

Vers une démocratie authentiquement indonésienne

Revenir à la Constitution de 1945 dans sa forme originelle, c’est donc s’engager dans une démarche intellectuelle et politique exigeante, qui dépasse les clivages idéologiques habituels. Il ne s’agit ni de rejeter les acquis démocratiques post-1998, ni de céder au conservatisme, mais de redéfinir la démocratie indonésienne sur ses propres bases. Une démocratie qui honore la diversité culturelle, garantit les droits fondamentaux dans leur globalité, et construit une nation unie autour d’un projet partagé.

Ce retour n’est pas un recul, mais une avancée vers une souveraineté populaire authentique, une démocratie enracinée et prête à affronter les défis du XXIe siècle.

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