Église blanche, fidèles de couleur : racisme systémique dans le catholicisme français
« À la table du Seigneur, tous sont invités. Mais pourquoi les places d’honneur sont-elles toujours réservées aux Blancs ? »
Note de l’auteur
Ce texte est subjectif, certes, mais il s’appuie sur plus de vingt années d’expérience vécue au sein de l’Église catholique en France. Il ne s’agit pas d’une attaque contre la foi elle-même, mais d’une interpellation critique face à certaines dérives identitaires et discriminatoires qui traversent l’institution. C’est la parole d’un fidèle engagé, touché personnellement, mais toujours attaché à l’idéal évangélique.
L’objectif est de lever un angle mort du débat public : si la question des abus sexuels dans l’Église a – à juste titre – fait l’objet de mises en lumière et de dénonciations, celle du racisme, de la xénophobie ou des logiques de domination culturelle demeure largement tue, bien qu’elle soit tout aussi structurante et problématique.
Cet article heurtera sans doute une partie des catholiques conservateurs français. Mais il est plus que nécessaire de faire émerger enfin le débat — trop longtemps étouffé — sur les mécanismes d’exclusion raciale, sociale et liturgique qui traversent l’Église en France.
L’universalisme catholique : un masque blanc
L’Église catholique se déclare « universelle ». Mais derrière cet idéal affiché, on découvre un système d’exclusion subtile mais tenace, où la blancheur est la norme et les personnes de couleur, des invités tolérés mais jamais égalisés.
Dans les paroisses, les fidèles de couleur sont nombreux. Mais leur rôle reste passif : rarement prédicateurs ou animateurs, invisibles dans les conseils pastoraux. Leur présence est acceptée tant qu’elle ne remet pas en cause la hiérarchie blanche.
Lors des fêtes paroissiales, les danses ou chants issus de traditions africaines ou antillaises sont souvent relégués à une ‘animation folklorique’ marginale, jamais intégrés à l’eucharistie elle-même.
Héritage colonial : le missionnaire devenu maître
L’ombre du colonialisme plane toujours sur l’Église de France. Pendant des siècles, elle a baptisé pour mieux dominer. Et cette logique n’a pas disparu : le prêtre venu d’Afrique est souvent perçu comme un "remplaçant" ou un bouche-trou dans les zones désertées, sans vraiment droit à l’autorité ni à la reconnaissance.
L’attitude paternaliste reste présente : les prêtres de couleur doivent constamment « prouver » leur orthodoxie, leur sérieux et leur loyauté, alors que leurs confrères européens bénéficient d’une présomption d’intelligence, de légitimité... et de désintéressement. Quant aux prêtres venus d’Afrique ou d’Asie, leur présence est trop souvent suspectée d’être motivée par l’argent, le visa, ou l’ambition personnelle — comme si leur foi était moins pure, moins vraie, moins incarnée.
Un clergé français verrouillé par la blanchité
L’Église catholique en France est principalement gouvernée par une élite largement composée de personnes blanches issues de milieux aisés. La majorité des évêques, recteurs de séminaires, formateurs et cadres pastoraux appartiennent aux mêmes milieux sociaux : bourgeoisie blanche, cultivée, homogène.
Les séminaristes de couleur, même brillants, sont souvent écartés, découragés, voire redirigés vers leurs pays d’origine. Le discours officiel parle d’ouverture, mais les faits parlent d’un refus de perdre le monopole du pouvoir sacré.
Caste ecclésiale : le racisme à visage liturgique
Il existe une stratification silencieuse mais réelle :
- Les fidèles blancs sont vus comme le « visage normal » de la foi.
- Les fidèles de couleur sont assignés à des rôles périphériques : chorales exotiques, animations folkloriques, mais jamais les clés du sanctuaire.
- Le multiculturalisme liturgique est encouragé à condition de rester décoratif. Le cœur de la liturgie – la prédication, la présidence, la théologie – reste blanc.
Femmes de couleur : invisibles et indispensables
Les femmes de couleur sont les grandes oubliées de l’Église. Elles assurent la catéchèse, la liturgie, la vie communautaire… mais aucune reconnaissance. Elles cumulent les exclusions :
- En tant que femmes, dans une institution patriarcale.
- En tant que personnes de couleur, dans une institution blanche.
- En tant que croyantes populaires, dans une institution élitiste.
Elles sont le cœur battant de nombreuses paroisses… et pourtant traitées comme des figurantes.
L’influence croissante de l’idéologie d’extrême droite
Depuis une dizaine d’années, l’extrême droite catholique regagne du terrain. Portée par des figures médiatiques, des mouvements liturgiques réactionnaires et des intellectuels nationalistes, cette idéologie réinstalle le racisme, l’autoritarisme et le repli identitaire au cœur de l’Église.
Dans certaines paroisses, ce repli identitaire se manifeste par le mépris des migrants ainsi que des cultures africaines et asiatiques. La critique de l’islam, loin d’être une analyse honnête et intellectuelle, sert souvent de masque à un mépris profond des musulmans. Parallèlement, une forme d’idolâtrie se cristallise autour de l’idée d’une « France chrétienne blanche ». Par ailleurs, les messes en latin, au lieu d’être un simple héritage liturgique, se transforment parfois en espaces de nostalgie coloniale où l’universalité de l’Évangile est sacrifiée sur l’autel d’une identité raciale excluante.
Le clergé, par prudence ou par adhésion tacite, laisse faire. Les évêques condamnent les extrêmes, mais ne rompent jamais clairement avec ceux qui prêchent la xénophobie depuis les ambons. Dans certaines paroisses traditionalistes, on vend même à la sortie de la messe des journaux liés à l’Action française.
L’hypocrisie morale à double vitesse
Il est impossible de parler de cette Église sans dénoncer l’hypocrisie morale qui la traverse de part en part. On y observe un deux poids, deux mesures consternant.
D’un côté, en France, l’institution se fait intransigeante, quasi obsessionnelle, sur des sujets comme l’avortement ou l’euthanasie. Elle mobilise ses fidèles avec un zèle religieux pour condamner des choix personnels, tandis que ses discours, médiatiques ou pastoraux, frappent par leur sévérité et leur déconnexion des réalités vécues par des millions de femmes et de familles.
De l’autre côté, dans ses cercles de pouvoir, l’Église se montre terriblement silencieuse face aux persécutions, aux violences et aux injustices qui frappent d’autres peuples, y compris des chrétiens de couleur sur d’autres continents. En Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient, des fidèles sont martyrisés, expulsés, assassinés. En 2024, l’AED recense plus de 5 000 violences graves contre des religieux, Portes Ouvertes signale près de 28 000 attaques contre des églises et leurs fidèles, et plus de 4 000 chrétiens ont été tués à cause de leur foi. Ces tragédies, pourtant dramatiques, restent marginales dans le discours catholique français, peu dénoncées et rarement débattues avec la même vigueur que des questions sociétales locales.
Ce silence est lourd de signification. Il révèle une hiérarchie des combats où les plus vulnérables sont ignorés et où la charité proclamée se transforme en spectacle sélectif. Il s’abstient même de se prononcer sur des enjeux cruciaux comme la politique nucléaire française, malgré l’affirmation claire du pape François selon laquelle posséder l’arme nucléaire constitue un crime, sans parler des ventes d’armes à des régimes autoritaires, voire génocidaires.
Cette contradiction morale demeure préoccupante : l’Église frappe avec sévérité des choix intimes tout en détournant le regard des oppressions les plus cruelles. La vraie foi ne peut être sélective, elle ne peut se contenter de slogans et de rites. Elle doit être courageuse, universelle, et surtout solidaire de ceux que l’on ignore, persécute ou abandonne.
Élitisme ecclésial et abandon des milieux populaires
Il est devenu presque banal, dans certains discours catholiques, d’imputer à un « complot maçonnique » ou à un « plan marxiste » la déchristianisation des classes populaires. Ce récit commode, parfois répété avec une sincérité désarmante, fonctionne comme un écran de fumée : il détourne l’attention de la profonde responsabilité ecclésiale dans l’effacement progressif de la foi au cœur du monde ouvrier.
L’Église catholique en France aime parfois se réfugier dans le mythe commode d’un « complot communiste » qui aurait détourné les ouvriers de la foi. Mais ce récit, aussi confortable qu’erroné, occulte une responsabilité bien plus profonde : celle d’une institution qui, par son élitisme social et culturel, a progressivement abandonné le terrain populaire.
Dans trop de paroisses, la culture bourgeoise s’est imposée comme norme liturgique, langagière et comportementale, laissant peu de place aux expressions de foi enracinées dans la vie ouvrière, dans le combat quotidien, dans la solidarité de quartier. La foi des humbles — directe, incarnée, parfois rugueuse — a été perçue comme trop brute, pas assez « présentable ».
Ce mépris silencieux a creusé un fossé entre l’Église et les classes populaires, déjà fragilisées par l’injustice sociale. Ce n’est pas le marxisme qui a vidé les bancs des églises ouvrières : c’est le sentiment d’être jugé, incompris, relégué à la périphérie d’une Église trop souvent façonnée par les codes de la classe dominante.
Ce désengagement ne s’est pas fait sans conséquences. La marginalisation du courant des prêtres-ouvriers, la méfiance institutionnelle envers les intuitions de la théologie de la libération, et plus largement l’assimilation de tout engagement social à une dérive « idéologique », ont contribué à cette fracture. Là où des figures prophétiques tentaient de faire Église au ras du sol, dans les luttes et les douleurs du quotidien, l’institution a parfois préféré le confort des cénacles intellectuels ou des chapelles identitaires.
L’accueil des convertis issus de l’islam : une double marginalisation
L’intégration des convertis venus de l’islam au sein de l’Église catholique française révèle des difficultés d’inclusion profondes. Ces nouveaux croyants se trouvent souvent confrontés à une double marginalisation. D’une part, ils sont perçus avec méfiance, parfois même suspicion, par certains fidèles et responsables attachés à des traditions culturelles bien enracinées. D’autre part, leur parcours singulier, marqué par des défis sociaux, culturels et spirituels importants, reste souvent peu reconnu et insuffisamment accompagné.
Cette double exclusion nourrit un sentiment d’isolement qui fragilise leur insertion dans la communauté chrétienne. Pourtant, ces convertis apportent une richesse spirituelle et culturelle qui pourrait profondément renouveler l’Église.
Il est donc urgent que celle-ci développe une écoute attentive et mette en place des pratiques inclusives capables de valoriser cette diversité et de déconstruire les préjugés, souvent inconscients, qui persistent.
Résistances et espérances
Heureusement, une autre Église existe, même si elle reste modeste. Des fidèles prennent la parole. Certains prêtres tiennent tête. Des théologiens progressistes écrivent, dénoncent, et bâtissent.
Malgré tout, des signes d’espérance demeurent. Dans certaines paroisses, des laïcs engagés travaillent chaque jour à retisser du lien, à accueillir les différences, à vivre un christianisme du service et non du pouvoir.
Une Église en marge se lève, qui veut :
- Décoloniser la foi.
- Reconnaître les charismes des personnes de couleur comme pleinement catholiques.
- Briser le monopole racial du sacré.
- Faire de la diversité culturelle une richesse théologique, et non un danger à neutraliser.
Le Christ des périphéries
Le Christ n’était pas blanc. Il n’était pas Parisien. Il n’était pas conservateur. Il est né en périphérie, a grandi parmi les pauvres, a défié les élites religieuses et politiques de son temps, et a été trahi par ceux qui croyaient défendre la pureté de la Foi.
Si l’Église en France veut vivre, elle doit mourir à sa blanchité, à sa peur, à son cléricalisme, pour renaître avec les peuples, dans les langues et les peaux de toutes les nations.
Car l’avenir de l’Église catholique ne sera pas blanc, ou il ne sera pas du tout.