Foie gras & Nasi goreng : amour culinaire franco-indonésien
Le partage d’un bon repas unit les peuples en transcendant les différences culturelles et linguistiques. Autour de la table, les barrières tombent, les échanges s’enrichissent, et naissent des liens d’amitié. Manger ensemble est une forme de diplomatie douce, qui ouvre à la découverte mutuelle et à la compréhension. Au-delà des divergences, le repas partagé révèle notre humanité commune, nourrissant à la fois le corps et l’esprit.
Quand la gastronomie française, reine du beurre et des sauces nappantes, croise le chemin de la cuisine indonésienne, impératrice du piment et du lait de coco, il se passe quelque chose de magique – ou d’explosif, selon votre tolérance au sambal.
Une rencontre pas si improbable : le croissant à Bali
Commençons par un fait : il y a plus de boulangeries françaises à Bali que dans certaines petites villes de la Creuse. Monsieur Spoon, Fabrice’s Bakery, Le Petit Gourmet… Autant d’îlots de croissants croustillants en pleine jungle balinaise. Pourquoi ? Parce que les expatriés français ont la nostalgie du pain au chocolat (et pas du chocolatine, soyons clairs). Et les Balinais, eux, raffolent de ces douceurs beurrées qu’ils revisitent parfois avec de la mangue ou du pandan.
Et là, déjà, l’échange culinaire commence : une tarte tatin au fruit du serpent, un éclair au durian (osé mais réel), ou encore une quiche aux épices javanaises. La cuisine française joue les touristes curieux, et l’Indonésie répond avec hospitalité… et un soupçon de gingembre.
L’invasion pacifique du tempeh à Paris
De l’autre côté du globe, les Parisiens (et quelques Lyonnais aventureux) découvrent que la protéine végétale la plus hype du moment n’est pas le tofu, mais le tempeh — ce drôle de gâteau de soja fermenté, un peu funky au nez mais divin dans une sauce satay.
Les chefs français, toujours à l’affût de l’exotisme maîtrisé, l’intègrent dans des plats dignes de Top Chef :
- Risotto au tempeh croustillant et infusion de citronnelle
- Foie gras poêlé, chutney de mangue et émulsion de sambal bajak
Le génie français, c’est de faire croire qu’on a inventé ce qu’on vient à peine de découvrir. L’Indonésie sourit… et continue de cuire son tempeh dans une poêle noire, sans mousse ni espuma.
Fusion food ou confusion food ?
Quand la gastronomie se prend pour une diplomate, ça donne parfois des chefs-d’œuvre… et parfois des accidents diplomatiques.
Un jour, un chef parisien un peu téméraire a essayé de marier deux traditions culinaires très différentes. Disons que le plat a déclenché des émotions fortes : quelques larmes côté indonésien, beaucoup de sueur côté français, et un résultat… disons, surprenant. On n’est pas prêts d’oublier cette expérience gustative !
Mais d’autres mariages marchent mieux :
- Le canard confit au kecap manis (sauce soja sucrée indonésienne)
- Le bœuf bourguignon au galanga (une sorte de cousin épicé du gingembre)
- Le macaron au pandan (délicieusement vert radioactif mais subtilement parfumé)
Le G20 de Bali (2022) : la diplomatie par le menu
Petit détour par l’histoire récente : lors du G20 à Bali en novembre 2022, les chefs d’État du monde entier ont été conviés à un banquet qui n’avait rien d’anodin. Au menu : ikan bakar sambal matah, nasi kuning et es teler revisité. Mais aussi… un clin d’œil français : tournedos rossini à la sauce rendang légère.
Les diplomates le savent bien : un bon dîner peut détendre plus d’une tension géopolitique. Talleyrand, ce génie de la diplomatie napoléonienne, l’avait compris mieux que personne. Lui qui affirmait que « la cuisine est la base du véritable gouvernement » aurait sans doute applaudi cette mise en scène où les épices balinaises tempéraient les désaccords internationaux. Une bouche pleine est, souvent, une bouche moins belliqueuse.
L’art de recevoir : nasi padang ou menu dégustation ?
En France, un bon repas, c’est un ballet millimétré : amuse-bouche, entrée, plat, fromage, dessert, digestif… En Indonésie ? On pose tout sur la table, et on pioche. Riz au centre, montagnes de légumes, viandes en sauce, œufs durs au curry, chips de crevettes, le tout dans une symphonie colorée. Le nasi padang, c’est le jazz du repas : tout le monde joue en même temps, mais ça fonctionne.
À Bali, certains restaurants tentent un pont culturel : menu dégustation balinais en 7 temps, servi à la française, avec intitulés poétiques :
- Soupe de gingembre sur lit de souvenirs d’Ubud
- Filet de mahi-mahi caressé par le feu sacré
- Pudding noir au lait de coco et graines de sagesse
Ce que la cuisine nous dit de nous
Au fond, ces fusions culinaires disent quelque chose d’important : la curiosité n’est pas un vilain défaut, surtout quand elle passe par l’estomac. Les Français, un brin chauvins côté gastronomie, ouvrent peu à peu leurs palais aux saveurs de l’archipel. Et les Indonésiens, fiers de leurs traditions mais ouverts à l’innovation, s’approprient les techniques françaises pour raconter leurs propres histoires.
Dans les cuisines modernes de Jakarta comme dans les bistrots branchés de Bordeaux, une nouvelle grammaire gustative est en train de naître, où les mots-clés sont : respect, audace, mémoire, et beaucoup de beurre… ou d’huile de coco.
Une table pour deux, sans frontières
Quand on partage un plat — que ce soit un bœuf rendang façon bourguignon ou un croissant au jackfruit — on partage plus que de la nourriture. On partage des souvenirs, des manières de vivre, des gestes et des sourires. Et parfois, on invente ensemble quelque chose qui n’existait pas avant.
Talleyrand le savait déjà au XIXe siècle : on ne fait pas la paix seulement dans les salons, mais aussi à table. Et si demain l’Indonésie et la France signaient un traité d’amitié culinaire, ce serait probablement autour d’un bon magret au sambal hijau, accompagné d’un clafoutis au rambutan. À déguster sans modération, mais avec une petite serviette, car ça pique un peu.