Journalisme en Indonésie : haut risque, bas salaire
Le journalisme est un pilier fondamental de toute démocratie, garantissant la diffusion d’informations libres et vérifiées. Pourtant, en Indonésie, cette profession se heurte à une dure réalité économique et sociale. Malgré les risques élevés auxquels ils sont exposés, les journalistes font face à des salaires insuffisants, à une précarité chronique et à une criminalisation croissante de leur travail.
Salaires bas et précarité : un métier mal rémunéré
En Indonésie, nombre de journalistes perçoivent un salaire inférieur au minimum régional. À Jakarta, par exemple, un jeune journaliste débute souvent avec un revenu de 3,35 à 4 millions de roupies (environ 220 à 260 euros), en deçà du salaire minimum officiel fixé à 3,64 millions de roupies en 2018. Cette rémunération modeste ne permet pas une vie décente, surtout dans les grandes villes.
À cela s’ajoute la précarité de l’emploi. Beaucoup de journalistes sont engagés avec des contrats temporaires, sans sécurité sociale ni perspectives d’avenir. Cette situation fragilise leur indépendance et leur capacité à résister aux pressions politiques ou économiques.
Témoignage d’un journaliste indépendant à Jakarta
« Nous travaillons souvent 10 à 12 heures par jour, parfois pour des salaires qui ne couvrent même pas le coût de la vie. J’ai vu des collègues abandonner leur carrière parce qu’ils ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leur famille. Et pourtant, nous sommes constamment menacés. En enquêtant sur des sujets sensibles, la peur d’être attaqué ou poursuivi est omniprésente. Mais nous continuons, parce que la vérité doit être racontée. »
— Anwar (nom modifié), journaliste indépendant résidant à Jakarta
Menaces, intimidations et criminalisation
La situation sécuritaire des journalistes en Indonésie est inquiétante. En 2018, l’Alliance des journalistes indépendants (AJI) a recensé au moins 64 agressions physiques contre des journalistes, dont des passages à tabac, des expulsions forcées lors de manifestations, et des poursuites judiciaires.
Un cas emblématique est celui des journalistes de TEMPO, l’un des magazines d’investigation les plus respectés du pays, qui ont subi pressions, intimidations et même des campagnes de diffamation à cause de leurs enquêtes sur la corruption et les abus de pouvoir. En 2025, une journaliste de TEMPO a reçu une « tête de cochon » symbolique, déposée devant son domicile, un message macabre utilisé pour faire taire les voix critiques.
De même, le média Jubi, basé en Papouasie, subit une forte pression pour couvrir les conflits dans la région. Ses journalistes sont fréquemment victimes de harcèlement, de menaces directes et de poursuites judiciaires sous des accusations souvent infondées, traduisant une tentative claire de criminaliser leur travail d’information.
Sur internet, le phénomène du « doxing » se développe, exposant les journalistes à des campagnes de haine en ligne où leurs données personnelles sont diffusées publiquement, créant un climat d’insécurité permanent.
Conditions de travail difficiles et impact sur la santé mentale
Les journalistes travaillent dans des conditions extrêmement stressantes, notamment ceux qui couvrent les zones de conflit ou les catastrophes naturelles. L’absence de soutien psychologique adapté laisse de nombreuses blessures invisibles, telles que le stress post-traumatique, non traitées. Pourtant, la culture professionnelle valorise la « résilience » individuelle, reléguant souvent ces souffrances au silence.
Une crise économique qui fragilise encore davantage la presse
La presse indonésienne traverse une crise économique sévère. La montée des plateformes numériques et des réseaux sociaux a détourné les revenus publicitaires, fragilisant les médias traditionnels. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques, l’environnement économique des médias a reculé de plusieurs points ces dernières années.
Cette crise a conduit à la perte d’emplois massifs, touchant plus de 1200 salariés du secteur entre 2023 et 2024. Certains médias ferment, d’autres réduisent leurs effectifs, ce qui affaiblit la qualité du journalisme.
Le gouvernement a tenté de réguler la situation, notamment en imposant une répartition plus équitable des revenus publicitaires, mais ces mesures tardent à porter leurs fruits face à la rapidité des mutations du secteur.
Vers une réforme urgente et indispensable
Pour garantir la liberté de la presse et la sécurité des journalistes, plusieurs mesures sont indispensables :
- L’augmentation des salaires et la sécurisation des contrats de travail pour assurer une vie digne aux journalistes.
- La protection renforcée contre les violences physiques, les menaces et la criminalisation judiciaire.
- La mise en place de programmes de soutien psychologique adaptés.
- Le renforcement des syndicats de journalistes pour défendre collectivement leurs droits.
Conclusion
En dépit de leur rôle vital dans la société, les journalistes indonésiens évoluent dans un contexte économique difficile, exposés à de nombreux risques. La « tête de cochon » posée devant leur porte symbolise tristement les menaces qui pèsent sur eux. Il est urgent que des réformes concrètes assurent leur sécurité, leur dignité et leur indépendance, afin que l’information reste un pilier solide de la démocratie indonésienne.
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