Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 10 septembre 2025

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Apprendre de Tan Malaka : Ne jamais négocier avec les voleurs

S’inspirant de Tan Malaka, cet article rappelle une leçon intemporelle : ne jamais négocier avec les voleurs. Face aux élites corrompues, la diplomatie doit être limitée. L’intégrité, la justice sociale et l’indépendance du peuple passent avant tout compromis, afin de construire une liberté durable et réelle.

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Apprendre de Tan Malaka : ne jamais négocier avec les voleurs

À chaque époque de crise, certaines voix ressurgissent du passé avec une force inattendue. Celle de Tan Malaka, révolutionnaire indonésien exécuté en 1949, en fait partie. Oublié des manuels scolaires, marginalisé par l’histoire officielle, il revient aujourd’hui comme une conscience exigeante. Son message, brutal et limpide, tient en une maxime devenue populaire : « le maître de maison ne négocie pas avec les voleurs qui pillent sa demeure ».

La radicalité d’un exilé

Né en 1897 à Sumatra, Tan Malaka passa une bonne partie de sa vie en exil, entre l’Europe, l’Asie et les prisons coloniales. Enseignant formé aux Pays-Bas, il devint vite un militant anticolonial et marxiste intransigeant. De clandestinité en déportation, il porta une idée simple : l’Indonésie ne serait libre que par une rupture totale avec l’ordre colonial.

Ses écrits — Naar de Republiek Indonesia (1925), Madilog (1943), Gerpolek (1948) — frappent par leur lucidité. Ils affirment qu’on ne négocie pas avec ceux qui fondent leur pouvoir sur le vol, l’exploitation et le mépris. Les accords proposés par les Pays-Bas après la Seconde Guerre mondiale n’étaient pour lui qu’un habillage diplomatique destiné à maintenir l’emprise coloniale sous une autre forme.

Contre les illusions du compromis

Au lendemain de la proclamation d’indépendance indonésienne (1945), les négociations de Linggarjati (1947) et de Renville (1948) divisèrent la jeune République. Beaucoup y virent un pas nécessaire vers la paix. Tan Malaka, lui, dénonça ces accords comme des chaînes déguisées : accepter de s’asseoir à la table des colonisateurs, c’était déjà reconnaître leur légitimité.

Il ne s’agissait pas pour lui d’une posture romantique, mais d’un calcul politique : l’histoire, disait-il, ne pardonne pas les compromis qui entérinent le vol. Les puissants n’offrent jamais de concessions véritables ; ils ne concèdent que ce qui leur permet de conserver l’essentiel.

Une maxime popularisée

La formule qui circule aujourd’hui — « ne jamais négocier avec les voleurs » — n’est pas une citation littérale de Tan Malaka, mais une cristallisation de son esprit. On la retrouve dans des articles militants, des tracts étudiants, des slogans. Elle traduit bien la logique qui guidait ses refus : on ne dialogue pas à égalité avec un cambrioleur encore armé dans le salon. On l’arrête, on l’expulse, on lui retire le fruit du vol — mais on ne lui offre pas une part du repas en échange d’une promesse de bonne conduite.

Héritage brûlant

La force de cette maxime tient à son actualité. Elle dépasse le seul cadre de l’Indonésie des années 1940. Partout où des élites prédatrices se drapent dans les habits du pouvoir, partout où la corruption dévore la société, la question posée par Tan Malaka demeure : faut-il négocier avec ceux qui pillent au grand jour ?

Dans un monde où l’on célèbre souvent le compromis comme vertu cardinale, la voix de Tan Malaka rappelle une autre vérité : certaines négociations sont des pièges. Elles ne réparent rien, elles perpétuent l’injustice.

L’ombre d’un prophète laïc

En janvier 1949, au crépuscule de la révolution indonésienne, Tan Malaka fut exécuté sommairement par ses propres compatriotes, dans le chaos de la lutte armée. Sa mort scella l’effacement d’une pensée trop radicale pour être récupérée. Pourtant, son ombre demeure.

À l’heure où les crises de corruption, d’inégalités et de domination se répètent, son exigence résonne : ne pas céder à l’illusion du dialogue avec les voleurs, mais inventer des formes de lutte qui rendent impossible leur règne.

Tan Malaka ne proposait pas la facilité, mais la rigueur. Sa voix, aujourd’hui, est celle d’un rappel : on ne négocie pas l’essentiel — la liberté, la dignité, la justice.

« Souvenez-vous ! De la tombe, mon cri portera plus loin et plus fort que de toute la surface de la terre. »

— Tan Malaka

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