Bali : l’invasion silencieuse des investisseurs étrangers ?
Bali, dit-on, est la perle de l’Indonésie. Mais à écouter Wayan Koster, son gouverneur, elle est en train de devenir la vitrine d’une dépossession tranquille. Par la magie technocratique du système OSS — Online Single Submission, cette machine administrative censée fluidifier les investissements —, les étrangers peuvent désormais s’installer, acheter, exploiter et transformer le sol balinais sans même qu’un fonctionnaire local ne s’en aperçoive. Tout est automatique, tout est “simplifié”. Et dans cette simplification, c’est la souveraineté de Bali qui s’évapore.
Koster alerte sur une invasion silencieuse et organisée : des investisseurs étrangers obtiennent des permis en quelques clics, souvent pour des montants dérisoires et parfois sur de simples déclarations. La loi prévoit un capital minimum de 10 milliards de roupies (≈ 600 000 €) pour une société étrangère, mais en pratique, beaucoup s’installent avec beaucoup moins. Avec seulement 1 milliard de roupies (≈ 60 000 €), certains parviennent déjà à s’imposer dans des secteurs traditionnellement réservés aux Balinais, comme la location de scooters, la restauration de rue ou les petits commerces.
Rien que dans la régence de Badung, plus de quatre cents étrangers se partagent déjà le marché de la location de véhicules. D’autres ouvrent des supérettes, vendent du ciment, tiennent des cafés à touristes sur des terres appartenant hier à des familles locales. L’île devient une succursale à ciel ouvert, un terrain de jeu pour entrepreneurs sans attache, pendant que les Balinais se voient relégués au rang d’employés dans leur propre maison.
Le système OSS, conçu pour attirer les capitaux, a fait sauter les verrous du contrôle local. Les Perda RTRW, ces règlements qui définissent l’usage du territoire, sont contournés. Des permis sont délivrés dans des zones protégées, parfois même sur des rives de rivières ou des littoraux où il est interdit de construire. Ce que Koster dénonce, c’est moins l’arrivée d’investisseurs que la mise à l’écart du regard humain, du bon sens, de la responsabilité politique. Un algorithme délivre des autorisations ; la terre, elle, reste muette sous le béton.
Mais Koster n’est pas naïf : il sait que Bali attire parce qu’elle vend du rêve. Il sait aussi que l’État central, à Jakarta, préfère un système unifié, standardisé, où toutes les régions obéissent à la même logique d’ouverture. Seulement, Bali n’est pas “une région comme les autres”. Son économie repose sur un équilibre fragile : le tourisme, la terre, la culture, le sacré. L’île vit de ses paysages et de ses rituels, pas de zones franches. Laisser le marché s’y installer sans frein, c’est transformer une civilisation vivante en décor commercial.
Il faut entendre le ton du gouverneur : ni protectionniste, ni rétrograde, mais lucide. Ce qu’il réclame, c’est le droit pour Bali de respirer à son rythme. Un droit à la vigilance, à la spécificité, à l’autonomie de jugement. Il n’en appelle pas au repli, mais à une réforme : que le tourisme soit reconnu comme secteur à haut risque, que les seuils d’investissement soient relevés, que les administrations locales puissent refuser des projets absurdes, et surtout que la loi ne sacralise pas la vitesse au détriment de la justice.
Le drame, au fond, n’est pas seulement économique. Il est symbolique. Derrière l’obsession de “faciliter l’investissement”, se cache l’idée qu’il faut plaire à l’étranger, même au prix de se trahir soi-même. Ce réflexe postcolonial, hérité du mythe du progrès, continue de ronger l’Indonésie moderne : croire que la prospérité viendra d’ailleurs, que l’argent des autres vaut plus que la dignité des siens.
Alors Bali, cette île qui a longtemps résisté à l’uniformité, se retrouve aujourd’hui prise dans le piège du développement automatisé. On construit plus vite qu’on ne réfléchit. On délivre plus de permis qu’on ne plante d’arbres. Et bientôt, peut-être, il ne restera que le mot “Bali” sur les brochures touristiques — un mot vidé de ses racines, géré à distance par des plateformes et des capitaux venus d’ailleurs.
La question n’est plus seulement de savoir combien d’investisseurs étrangers entrent à Bali. Elle est de savoir combien de Balinais pourront encore y vivre dignement.
Source :
https://tirto.id/koster-soroti-mudahnya-investor-asing-masuk-bali-via-sistem-oss-hjmG