Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

278 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 juin 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Halmahera, mine coloniale de la France verte

Derrière les discours verts de la transition énergétique française, une réalité brutale : l’île indonésienne d’Halmahera est ravagée pour fournir le nickel nécessaire aux batteries de demain. Forêts détruites, peuples autochtones déplacés, rivières polluées — et la France, via Eramet, complice silencieuse de cet écocide.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Halmahera, mine coloniale de la France verte 

À des milliers de kilomètres des centres de décision occidentaux, l’île d’Halmahera, en Indonésie orientale, est en train d’être éventrée. Ses forêts tropicales disparaissent sous les dents d’acier des bulldozers. Ses rivières s’envasent, asphyxiées par les rejets miniers. Ses habitants, en grande majorité des peuples autochtones marginalisés, voient leurs territoires ancestraux disparaître. Tout cela pour une ressource désormais sacrée : le nickel. Ce métal, clé de voûte de la fabrication des batteries pour véhicules électriques, est devenu le nouvel or noir du XXIe siècle. Et la France, via l’entreprise Eramet, en est l’un des principaux bénéficiaires — et complices.

Eramet et l’empire du nickel : à qui profite la déforestation ?

Le complexe industriel de PT Weda Bay Nickel (WBN), situé à Halmahera, est une joint-venture entre la multinationale française Eramet, le géant chinois Tsingshan, et des capitaux indonésiens. Ensemble, ils ont bâti en quelques années un véritable empire métallurgique sur les ruines d’un écosystème unique. Les chiffres sont vertigineux : des millions de tonnes de minerais extraits, traités, exportés — au prix de l’empoisonnement des sols, de l’air, de l’eau, et de la vie.

Eramet, dont l’État français détient une part importante, se vante de contribuer à la transition énergétique mondiale. Mais en réalité, elle alimente un extractivisme néocolonial, dans lequel les profits sont privatisés à Paris et Jakarta, tandis que les coûts sociaux et écologiques sont externalisés sur les habitants de Halmahera.

Macron à Jakarta en mai 2025 : diplomatie verte ou duplicité minière ?

La visite officielle d’Emmanuel Macron en Indonésie en mai 2025 aurait pu être l’occasion de reconnaître la responsabilité de la France dans les dégâts environnementaux de ses multinationales. Il n’en fut rien. Le président français a préféré parler de partenariats « verts » et de sécurité d’approvisionnement stratégique pour les métaux dits « critiques ». En d’autres termes : renforcer la chaîne d’extraction sans jamais remettre en cause le modèle destructeur qui la sous-tend.

Aucune mention, dans son discours, des forêts rasées à Halmahera. Aucun mot pour les peuples autochtones déplacés, ni pour les alertes des ONG environnementales indonésiennes. En restant silencieux, l’État français légitime l’écocide en cours.

Une forêt millénaire contre des batteries Tesla : le marché du diable

Le paradoxe est glaçant. Ce que l’on présente en Europe comme une « révolution verte » repose sur la destruction accélérée d’écosystèmes tropicaux. Le nickel d’Halmahera entre dans la composition des batteries des véhicules électriques censés « sauver la planète ». Mais que valent ces batteries, si elles sont alimentées par la souffrance humaine et la dévastation biologique ? Peut-on sérieusement parler de transition écologique quand elle repose sur des logiques de pillage, d’opacité et d’impunité ?

Les Hongana Manyawa : un peuple sacrifié au nom du progrès

Parmi les premières victimes de l’expansion minière à Halmahera figurent les Hongana Manyawa, un peuple autochtone dont certains membres vivent encore en isolement volontaire. Leur mode de vie, fondé sur l’harmonie avec la forêt, est aujourd’hui menacé d’extinction. Leurs terres sont livrées sans consentement préalable à des compagnies minières. Leur existence même est niée au nom du développement. Il ne s’agit pas simplement d’un conflit environnemental : c’est une entreprise de destruction culturelle, un ethnocide.

La France finance l’écocide

Par le biais de prêts publics, de garanties d’investissement, de fonds pour les « métaux stratégiques », l’État français soutient activement les ambitions extractivistes d’Eramet. Halmahera n’est pas un cas isolé : c’est le laboratoire d’un modèle extractif global, où les pays du Sud paient le prix écologique d’un confort énergétique au Nord. La souveraineté industrielle française ne peut pas reposer sur la négation des droits humains à l’autre bout du monde.

Rompre avec l’hypocrisie verte

Si la France veut être crédible dans sa transition énergétique, elle doit rompre avec cette hypocrisie verte. Il ne suffit pas de vanter la neutralité carbone ou l’innovation technologique tout en finançant des projets destructeurs à l’étranger. Il est temps de reconnaître que la transition énergétique actuelle repose trop souvent sur une logique coloniale modernisée : extraction dans les marges, silence des victimes, profits au centre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.