Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 12 juillet 2025

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Indonésie–France en 2025 : un double anniversaire

En 2025, la France et l’Indonésie célèbrent 75 ans de relations diplomatiques et 80 ans d’indépendance indonésienne. Un partenariat solide mais marqué par des défis majeurs : droits de l’homme en Papouasie, tensions géopolitiques, commerce éthique à renforcer, et coopération environnementale insuffisante.

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Indonésie–France en 2025 : un double anniversaire entre réussites fragiles et défis pressants

L’année 2025 marque deux anniversaires importants : 75 ans de relations diplomatiques entre la France et l’Indonésie, et 80 ans d’indépendance pour ce vaste archipel d’Asie du Sud-Est. C’est l’occasion pour les deux pays d’organiser des cérémonies, d’échanger des discours officiels et de rappeler les liens d’amitié établis depuis 1950. Mais au-delà des festivités, il est essentiel de s’interroger : que représente vraiment ce partenariat aujourd’hui ? Quels progrès a-t-on réalisés ? Et surtout, quels défis restent à relever ?

Des bases solides, mais un potentiel encore sous-exploité

Depuis trois quarts de siècle, la France et l’Indonésie entretiennent un dialogue diplomatique régulier. Sur le plan économique, les échanges commerciaux ont atteint environ 2 milliards d’euros en 2024. La France exporte surtout des avions Airbus, des produits de luxe, et des services. En retour, elle importe des ressources naturelles comme le bois, l’huile de palme ou certains minerais. Mais ces chiffres restent modestes : ce commerce ne représente même pas 1 % des échanges extérieurs de l’Indonésie, ce qui montre un lien encore limité.

Les investissements français en Indonésie avoisinent les 800 millions d’euros. Ils concernent surtout l’aéronautique, l’énergie renouvelable et la finance. Si ces investissements progressent légèrement chaque année, la France reste loin derrière d’autres acteurs internationaux, comme la Chine, le Japon ou Singapour.

Sur le plan culturel, plusieurs centaines d’étudiants indonésiens viennent chaque année faire leurs études en France. En Indonésie, les centres culturels comme l’Institut français contribuent à faire connaître la langue et la culture française dans une dizaine de grandes villes.

Un partenariat déséquilibré face aux réalités contemporaines

Malgré ces avancées, plusieurs limites apparaissent. Le commerce reste peu diversifié et les échanges souffrent d’un manque de transparence sur le plan éthique. Par exemple, certaines matières premières importées par la France proviennent de régions où les conditions d’extraction sont discutables, notamment en ce qui concerne le respect de l’environnement ou des droits humains.

Un point sensible, souvent ignoré dans les relations bilatérales, concerne la situation en Papouasie occidentale. Cette région, riche en ressources minières, connaît depuis des décennies des tensions importantes. De nombreux rapports évoquent des violences, des déplacements forcés de populations autochtones et un manque d’accès à l’information. Pourtant, ces questions sont rarement abordées de manière ouverte entre Jakarta et Paris, sans doute pour ne pas perturber la coopération économique.

Un enjeu majeur : la Papouasie occidentale

La Papouasie occidentale compte environ 5 millions d’habitants et possède une biodiversité exceptionnelle. Pourtant, c’est aussi l’une des régions les plus instables d’Indonésie. Des conflits entre les forces de sécurité et certains groupes indépendantistes ont causé des milliers de morts depuis les années 1960. Les populations autochtones dénoncent régulièrement des discriminations et des atteintes à leurs droits fondamentaux.

La France, qui se veut défenseuse des droits de l’homme sur la scène internationale, reste très discrète sur ce dossier. Ce silence est souvent perçu comme un compromis politique au nom des intérêts économiques. Il suscite des critiques, notamment de la part d’organisations non gouvernementales et de certains élus.

Un partenariat stratégique à développer

Sur le plan géopolitique, la France cherche à renforcer sa présence dans l’Indo-Pacifique. Pourtant, les actions concrètes restent limitées. En 2024, seulement deux exercices militaires conjoints ont été réalisés avec l’Indonésie. Cela contraste avec les ambitions affichées par Paris, qui souhaite jouer un rôle dans la sécurité régionale, face aux tensions entre grandes puissances.

L’Indonésie, de son côté, attend un soutien plus actif de ses partenaires, notamment dans la lutte contre les trafics illégaux, la sécurité maritime et la coopération scientifique.

Un paradoxe environnemental

L’Indonésie demeure l’un des pays les plus touchés par la déforestation à l’échelle mondiale. En 2024, environ 175 000 hectares de forêts ont été détruits, une tendance en hausse pour la troisième année consécutive. Cette perte accélère la crise climatique et met en péril de nombreuses espèces endémiques.

La France, via l’Agence française de développement (AFD) et sa coopération bilatérale, consacre chaque année près de 50 millions d’euros à des projets environnementaux en Indonésie. Toutefois, ces efforts peinent à infléchir la dynamique globale de déforestation. Par ailleurs, le commerce bilatéral entre les deux pays continue de concerner des produits à fort impact écologique, tels que l’huile de palme ou le bois, sans que des mécanismes de traçabilité et de contrôle stricts ne soient systématiquement appliqués.

Une relation à repenser

En 2025, les deux pays ont des raisons de se féliciter du chemin parcouru. Le dialogue est constant, les échanges existent, et les partenariats dans l’éducation ou la culture sont réels. Mais à l’heure où le monde fait face à des défis majeurs — crises climatiques, conflits, inégalités —, le partenariat franco-indonésien doit se montrer plus ambitieux.

Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les échanges économiques. Il faut aussi mettre en place une coopération plus équilibrée, plus respectueuse des droits humains et plus engagée sur le plan environnemental. Ce double anniversaire ne doit pas être une occasion purement symbolique. C’est le moment de poser les bases d’une relation plus juste, plus transparente et plus exigeante.

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