Quand l’Indonésie a claqué la porte de l’ONU : La dynamique de la Konfrontasi de Sukarno contre la Malaisie
Dans l’histoire tumultueuse de l’Asie du Sud-Est, les années 1960 sont marquées par une période de fortes tensions diplomatiques et militaires entre l’Indonésie et ses voisins, notamment la Malaisie et ses alliés occidentaux. Cette période, connue sous le nom de Konfrontasi, fut l’expression d’une politique agressive menée par le président indonésien Sukarno, qui culmina avec une décision symbolique forte : l’Indonésie claquait la porte de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Le contexte géopolitique et l’émergence de la Konfrontasi
À la fin des années 1950 et au début des années 1960, la région malaisienne est en pleine recomposition. La création de la Fédération de Malaisie en 1963 — regroupant la Malaisie péninsulaire, Singapour, le Sabah (anciennement Nord-Borneo) et le Sarawak — est perçue par Sukarno comme une menace directe à la souveraineté indonésienne, et comme une manœuvre néocoloniale orchestrée par la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale.
Sukarno, fervent nationaliste et partisan du nasakom (fusion du nationalisme, du communisme et de l’islam), lance alors la politique de Konfrontasi (« confrontation ») pour contester la création de cette fédération, considérée comme un « acte d’agression impérialiste ». Il s’agissait également de revendiquer l’éventuelle annexion du Kalimantan Nord, partie de l’île de Bornéo géographiquement proche de l’Indonésie mais administrativement rattachée à la Malaisie
La confrontation armée et diplomatique
Entre 1963 et 1966, l’Indonésie engage une guerre non déclarée, combinant opérations militaires irrégulières, sabotage, et campagnes diplomatiques agressives. Les forces indonésiennes, souvent des guérilleros ou des forces spéciales, mènent des raids dans les régions frontalières du Kalimantan malaisien.
Face à cela, la Grande-Bretagne, alliée à la Malaisie, déploie une force importante pour défendre ses intérêts stratégiques et protéger la jeune fédération. La tension s’intensifie sur le plan international, notamment à l’ONU, où l’Indonésie dénonce la fédération malaise comme un « outil impérialiste » et décide en 1965 de se retirer de l’Organisation des Nations unies pour protester contre ce qu’elle considère comme un manque d’impartialité.
Ce geste est à la fois un acte de défi et un symbole politique puissant, marquant l’apogée de la politique extérieure de Sukarno fondée sur la résistance face aux puissances occidentales.
La chute de Sukarno et la fin de la Konfrontasi
Toutefois, la situation intérieure en Indonésie se dégrade rapidement. L’économie est en crise, les divisions politiques s’exacerbent, et la tension entre les forces militaires et les partis politiques atteint son paroxysme.
En 1965, un coup d’État manqué ouvre la voie à l’ascension du général Suharto, qui amorce la chute de Sukarno. Ce dernier est progressivement écarté du pouvoir, et la politique de Konfrontasi est abandonnée.
Sous Suharto, l’Indonésie normalise ses relations avec la Malaisie et les puissances occidentales, et revient à l’ONU en 1966.
Conclusion
La période de la Konfrontasi reste une étape cruciale de l’histoire indonésienne, illustrant à la fois la volonté farouche d’indépendance et de souveraineté de Sukarno, mais aussi les limites d’une politique fondée sur la confrontation frontale avec les grandes puissances.
Le claquement symbolique de la porte de l’ONU marque ainsi la fin d’une ère et le début d’une nouvelle phase politique sous Suharto, tournée vers la stabilisation et la réintégration dans le concert international, même si cette stabilité fut par la suite entachée par l’invasion et l’occupation du Timor oriental (1975-1999), qui ouvrit une longue période de conflit et de contestation internationale.
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