Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

485 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 juillet 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

La diaspora indienne en Indonésie : une influence discrète mais majeure

Discrète mais influente, la diaspora indienne en Indonésie joue un rôle clé dans l’économie, la culture et la diplomatie, tout en restant en marge de la scène publique. Héritière d’échanges anciens avec l’Inde, elle continue de tisser des liens profonds à travers l’entrepreneuriat, la spiritualité et le cinéma, dans une stratégie du murmure maîtrisée.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La diaspora indienne en Indonésie : une influence discrète mais majeure

L’Indonésie, cet immense archipel pluriel, porte en elle une histoire millénaire d’échanges culturels avec l’Inde. Dès le début du 1er millénaire, les marchands et sages indiens traversaient les mers, semant sur Java, Bali et Sumatra les graines du sanskrit, de l’hindouisme et du bouddhisme. Ces influences ont profondément marqué l’identité insulaire, jusqu’à l’arrivée de l’islam.

Pourtant, la communauté indienne actuelle — composée principalement de Tamouls, Gujaratis et Sindhis venus sous la colonisation néerlandaise — reste étonnamment discrète. Ni groupe majoritaire, ni acteur politique visible, cette diaspora tisse dans l’ombre un réseau d’influence économique et culturelle.

Influence économique : quand la discrétion rime avec puissance

Avec une population estimée à près de cent mille individus, la communauté indienne d’Indonésie joue un rôle notable dans le secteur entrepreneurial, malgré une relative invisibilité médiatique et politique. À Medan, les Tamouls perpétuent traditions et temple hindous, tandis qu’à Jakarta ou Surabaya, les familles gujaraties et sindhis dominent des secteurs clés comme le textile, les pierres précieuses, ou les technologies.

Lakshmi Mittal, l’un des hommes les plus riches au monde, illustre bien cette dynamique. Il a commencé son activité à Surabaya, en Indonésie, et bien qu’il ne soit ni résident ni personnalité publique dans le pays, il exerce une influence indirecte significative grâce à ses investissements sidérurgiques et miniers via ses filiales et partenaires locaux.

Une intégration à la fois volontaire et précaire

Ce parcours reflète parfaitement la posture adoptée par de nombreux Indiens en Indonésie : exercer un pouvoir discret, en faisant avancer les choses par les faits plutôt que par la visibilité ou les discours.

Les Indiens d’Indonésie ne revendiquent pas de statut particulier. Ils préfèrent l’intégration informelle à la visibilité politique. Cela les distingue fortement de la communauté chinoise, souvent au centre de tensions et de discriminations.

Cependant, cette invisibilité choisie masque une réalité sociale complexe : cohabitent des descendants de coolies tamouls modestes, des dynasties marchandes gujaraties prospères et des professionnels récemment arrivés, parfois venus de Bangalore ou Chennai.

Spiritualité : un héritage discret mais vivant

L’héritage indien ne se limite pas aux affaires. Sur l’île de Bali, l’hindouisme balinais témoigne d’une tradition locale fortement influencée par l’Inde.

Dans les grandes villes indonésiennes, temples hindous tamouls et gurdwaras sikhs restent des lieux essentiels pour la communauté. Fêtes comme Thaipusam ou Diwali sont célébrées en privé, renforçant un lien spirituel tenace malgré l’absence de prosélytisme.

Diplomatie douce : l’Inde, un partenaire culturel discret

Dans le contexte géopolitique actuel, où l’Inde gagne en poids dans l’Indo-Pacifique, la communauté indienne en Indonésie devient un relais de la diplomatie culturelle indienne.

Instituts culturels, festivals de yoga, coopérations artistiques, ainsi que les écoles Gandhi implantées dans plusieurs grandes villes indonésiennes, participent à cette présence croissante — souvent dans une ambiance feutrée, loin des projecteurs.

Cinéma : une influence artistique méconnue

Au-delà de l’économie et de la spiritualité, la communauté indienne influence également le cinéma indonésien. 

La popularité durable de Bollywood en Indonésie, combinée à l’implication de réalisateurs, producteurs et techniciens d’origine indienne, contribue à enrichir la production cinématographique locale. Des figures comme Manoj Punjabi, reconnu comme un acteur majeur de l’industrie du film en Indonésie, illustrent cette influence significative. 

Des événements comme le Festival Film India (IFF) 2025, organisé par l’Ambassade d’Inde à Jakarta, valorisent cette richesse culturelle. Tenue du 7 au 9 février 2025 au XXI Cinema Setiabudi, la manifestation a présenté des films tels que English Vinglish et Baaram, et s’est étendue à Bali et Medan, renforçant ainsi les liens culturels entre les deux pays.

Par ailleurs, des coproductions entre sociétés indiennes et indonésiennes favorisent la circulation des œuvres et l’échange des savoir-faire, soutenus par un réseau actif de professionnels de la diaspora indienne.

Quel avenir pour cette diaspora ?

Alors que les liens entre l’Indonésie et l’Inde se renforcent sur les plans économique et culturel, la minorité indienne pourrait se positionner comme un acteur stratégique majeur. Cela supposerait toutefois une sortie de la discrétion, une affirmation identitaire plus audible, et une participation plus active au débat public.

Jusqu’ici, la stratégie du murmure a permis à cette communauté d’exister en marge des conflits et des tensions ethniques. Mais dans un monde globalisé où la visibilité conditionne souvent l’influence politique et sociale, cette posture est-elle durable ?

Conclusion 

La minorité indienne en Indonésie incarne un paradoxe fascinant : invisible mais profondément ancrée, modeste en nombre mais puissante en influence, silencieuse mais porteuse d’une riche mémoire. Dans un pays souvent déchiré par des fractures identitaires, elle trace une autre voie — celle d’une diaspora qui choisit la discrétion, tout en contribuant activement à la mosaïque indonésienne.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.