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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 13 septembre 2025

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Vingt ans de paix en Aceh : un modèle achevé ou une illusion fragile ?

Vingt ans après l’Accord d’Helsinki, Aceh, à la pointe nord de Sumatra, connaît une paix relative : fin des combats, autonomie renforcée, mais justice inachevée et charia controversée. Alors qu’Aceh profite d’une stabilité sans guerre ouverte, la Papouasie reste sous répression militaire. Aceh a eu son Helsinki ; quand sera-ce le tour de la Papouasie ?

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Vingt ans de paix en Aceh : un modèle achevé ou une illusion fragile ?

En 2025, l’Indonésie célèbre les vingt ans de l’Accord d’Helsinki (2005), qui mit fin à près de trois décennies de conflit armé entre le gouvernement central et le Gerakan Aceh Merdeka (Mouvement pour un Aceh libre). Le souvenir de la guerre civile — marquée par des milliers de victimes civiles, des disparitions forcées, des violations massives des droits humains — paraît aujourd’hui lointain. Aceh vit désormais dans un climat de relative stabilité. Pourtant, cette paix célébrée comme une réussite internationale demeure ambiguë. Elle illustre à la fois la possibilité d’une sortie négociée du conflit en Indonésie et les limites d’une paix imposée dans le cadre d’un État fortement centralisé.

Une paix négociée, un modèle rare

L’accord de 2005, négocié à Helsinki sous l’égide de médiateurs internationaux, mit un terme à une guerre de basse intensité mais persistante. Pour l’Indonésie, il s’agissait d’une victoire stratégique : elle obtenait la fin d’une guérilla séparatiste tout en préservant l’intégrité territoriale. Pour les élites d’Aceh, l’accord garantissait une autonomie substantielle, la création de partis locaux, le partage des revenus liés aux ressources naturelles, ainsi qu’une reconnaissance identitaire dans un pays dominé par le centre javanais.

Cette paix est d’autant plus remarquable qu’elle s’est maintenue depuis vingt ans, dans un monde où nombre d’accords de cessez-le-feu s’effondrent rapidement. Aceh est aujourd’hui relativement calme, intégré dans l’économie indonésienne et absent des grands foyers de violence.

Les zones d’ombre de la paix

Mais derrière cette façade de succès, plusieurs critiques persistent.

1. La marginalisation des victimes. Beaucoup de familles de disparus ou de victimes des violences militaires attendent toujours justice et vérité. Le processus de réconciliation reste largement symbolique.

2. La normalisation par la charia. Aceh est la seule province indonésienne où la sharia est appliquée de manière officielle et publique. Cette évolution, validée par l’accord de paix, s’avère profondément controversée. Si elle est présentée comme une expression identitaire, elle renforce aussi des pratiques discriminatoires, notamment contre les femmes et les minorités sexuelles.

3. Une paix fragile, non exempte de tensions. Des poches de mécontentement persistent, notamment parmi ceux qui estiment que l’autonomie promise n’a pas été pleinement respectée. La répression d’opposants critiques de la gouvernance locale continue, bien que sans atteindre l’ampleur du conflit passé.

L’absence d’un climat de guerre

En dépit de ces zones d’ombre, Aceh illustre qu’il est possible de transformer un conflit armé en coexistence pacifiée. Le contraste est saisissant avec d’autres régions du monde toujours ravagées par la guerre civile. On ne parle plus de villages incendiés, de guérilleros traqués dans les montagnes ou de militaires stationnés en masse pour réprimer la population. Le sentiment dominant est celui d’une « paix imparfaite », mais une paix tout de même — un horizon devenu normalité.

Et la Papouasie occidentale ?

Cette commémoration soulève inévitablement une autre question : quand viendra le tour de la Papouasie occidentale ?

Depuis 1963, cette région mélanésienne vit sous administration indonésienne, au prix d’un conflit jamais véritablement résolu. Alors qu’Aceh a obtenu une négociation internationale et un accord reconnu, la Papouasie reste enfermée dans un cycle de répression militaire, de violences sporadiques, de méfiance radicale entre Jakarta et les communautés locales.

Contrairement à Aceh, la Papouasie n’a jamais bénéficié d’un dialogue authentique. Les solutions proposées — autonomie spéciale, programmes de développement, redistribution partielle des ressources — n’ont pas suffi à apaiser le ressentiment profond. La question fondamentale, celle du droit à l’autodétermination, continue d’être évitée, sinon réprimée.

Une paix sélective

L’exemple d’Aceh démontre qu’un règlement pacifique est possible, même après des décennies de guerre. Mais il souligne aussi l’inégalité du traitement des régions périphériques en Indonésie. Aceh a pu accéder à une solution politique, tandis que la Papouasie demeure prisonnière d’une logique sécuritaire. Cette disparité interroge : la paix est-elle une concession offerte au cas par cas, selon les intérêts stratégiques et l’équilibre des forces, ou bien un véritable projet de réconciliation nationale ?

Conclusion

Vingt ans après Helsinki, Aceh incarne une paix qui n’est pas exempte de critiques, mais qui a su éloigner durablement le spectre de la guerre. Ce succès relatif rend d’autant plus criante la situation de la Papouasie occidentale. Tant que celle-ci reste exclue d’un processus de dialogue sincère, tant que la logique militaire prévaut sur la recherche d’une solution politique, l’ombre d’un conflit larvé persistera. La question se pose avec acuité : si Aceh a connu son Helsinki, quand viendra le temps de la Papouasie ?

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