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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 13 octobre 2025

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Quand Trump félicite Prabowo : le théâtre cynique de la “paix” mondialisée

À Sharm el-Sheikh, Donald Trump salue Prabowo Subianto d’un ton triomphal : « excellent travail ». Derrière la scène diplomatique, un théâtre cynique où les anciens hommes forts se félicitent mutuellement, transformant la paix en décor médiatique et la reconnaissance en absolution politique.

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Quand Trump félicite Prabowo : le théâtre cynique de la “paix” mondialisée

On aurait pu croire à une scène diplomatique parmi tant d’autres : un sommet pour la paix, des chefs d’État alignés sous les lustres de Sharm el-Sheikh, des sourires convenus et des formules d’usage. Mais cette fois, la mise en scène a quelque chose de trop parfait pour ne pas éveiller la méfiance. Donald Trump, redevenu figure centrale de la scène internationale à coups de déclarations tapageuses, adresse un compliment appuyé à Prabowo Subianto : « Excellent travail, vraiment un grand homme, un pays formidable. » L’ancien promoteur immobilier félicitant l’ancien général accusé de violations des droits humains — voilà une image qui résume à elle seule la diplomatie du XXIe siècle : spectaculaire, amnésique et foncièrement cynique.

Ce « bon travail » lancé en public n’est pas une anecdote ; c’est un symptôme. Il dit l’état d’une politique mondiale où la reconnaissance médiatique remplace la responsabilité morale, où les alliances se font et se défont au gré des caméras, où les dictateurs repentis et les populistes assumés se congratulent au nom d’une paix sans mémoire. À Sharm el-Sheikh, il ne s’agissait pas tant de discuter la fin des guerres que d’enrober le statu quo d’une rhétorique pacifique.

Prabowo Subianto, président d’un pays présenté comme “modéré” et “puissant”, est un homme dont la carrière militaire fut marquée par des épisodes sombres : répression des manifestations de 1998, disparitions forcées, opérations brutales au Timor oriental et en Papouasie occidentale. Des faits que la justice indonésienne n’a jamais vraiment tranchés, mais que l’histoire, elle, n’a pas oubliés. Et c’est cet homme-là, désormais chef d’État, que Trump choisit de mettre en lumière comme artisan de paix. On ne saurait mieux illustrer la plasticité morale de la scène internationale contemporaine.

Le compliment de Trump, banal en apparence, agit ici comme un acte politique. En validant Prabowo, il légitime une figure autoritaire réhabilitée par les urnes et les intérêts stratégiques. En retour, l’Indonésie, puissance musulmane non alignée, offre à l’ancien président américain une tribune idéale pour réaffirmer son influence symbolique au Moyen-Orient. Tout le monde y gagne : Trump sa visibilité, Prabowo sa respectabilité. La paix, elle, n’y gagne rien.

Les médias officiels indonésiens, empressés de relayer la scène, y voient une consécration nationale. L’image du président serrant la main de Trump devient une preuve de “stature mondiale”, une démonstration du “respect” que suscite l’Indonésie sur la scène globale. Personne ne s’interroge sur le sens d’une telle reconnaissance, ni sur l’étrange cohérence morale qui unit ces deux hommes. La diplomatie spectacle a triomphé du débat politique.

Cette rencontre, sous son vernis protocolaire, révèle pourtant une vérité plus profonde : la “paix” dont se réclament ces dirigeants n’est pas celle des peuples, mais celle des puissances. Une paix d’ordre, de stabilité, de contrôle. Une paix utile aux marchés, à la géostratégie, aux ambitions personnelles. Derrière la poignée de main, ce n’est pas la fin des violences qu’on célèbre, mais la continuité du système qui les rend possibles.

Trump, qui distribue les félicitations comme on distribue les trophées dans un concours de beauté, incarne ce désintérêt total pour la substance. Il ne parle pas de diplomatie, il parle d’image. Il ne soutient pas des valeurs, il valide des postures. Et Prabowo, fin stratège, comprend parfaitement la règle du jeu : dans le monde des puissants, la reconnaissance vaut absolution. Le compliment d’un Trump efface des décennies de critiques et confère un vernis de respectabilité qu’aucune réforme intérieure n’aurait pu produire.

Le plus inquiétant est sans doute que personne ne s’en étonne vraiment. Les dirigeants autoritaires recyclés en “hommes de paix” ne sont plus des anomalies, mais des figures familières. Les félicitations de Trump deviennent la monnaie courante d’une époque où les droits humains pèsent moins que les intérêts stratégiques, où la mémoire se négocie comme un contrat commercial.

Il n’y a pas, dans tout cela, la moindre naïveté. Seulement un cynisme froid, parfaitement assumé. Un monde où la paix est un décor, la justice un souvenir, et la politique internationale une succession de photos bien cadrées.

Alors oui, “bon travail, Monsieur le Président”. Bon travail d’avoir transformé le silence en stratégie, la violence en mémoire oblique, et la diplomatie en spectacle. Bon travail d’avoir compris que dans ce monde saturé d’images, il suffit d’un compliment de Trump pour devenir, le temps d’un sommet, un héros de la paix.

Source :

https://m.antaranews.com/berita/5172317/prabowo-dapat-pujian-khusus-dari-trump-di-ktt-perdamaian-kerja-bagus?utm_source=antaranews&utm_medium=mobile&utm_campaign=latest_category

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