Complicité française au Timor oriental : briser le silence, réparer la mémoire
« Ne pas dire, ne pas voir, ne pas entendre : telle fut la diplomatie française face à l’un des génocides les plus oubliés du XXe siècle. »
De 1975 à 1999, le Timor oriental a été rayé de la carte, occupé, torturé, saigné. Derrière l’ombre du général Suharto et des milices pro-indonésiennes, des puissances dites “démocratiques” ont regardé ailleurs.
Si les États-Unis et l’Australie furent les parrains explicites de cette occupation, la France, elle, s’est tue. Pire encore, elle a armé, cautionné, et maquillé son inaction par les habits creux de la diplomatie gaullienne.
Cet article dénonce la complicité active de la France dans le prolongement de l’occupation indonésienne du Timor oriental, et appelle à une reconnaissance officielle de ses responsabilités.
Un peuple écrasé dans l’indifférence
Le 7 décembre 1975, l’armée indonésienne envahit le Timor oriental. En quelques semaines, les structures de la jeune république indépendante sont écrasées.
Ce petit territoire, ancien comptoir portugais, est abandonné par le concert des nations. L’invasion viole pourtant tous les principes de la Charte des Nations unies. Mais dans les couloirs feutrés des chancelleries occidentales, on choisit de ne pas voir.
En France, aucune condamnation officielle. Pas un mot du président Valéry Giscard d’Estaing. Pas de protestation publique. La République française ferme les yeux pendant que des dizaines de milliers de civils sont massacrés.
Le réalisme cynique de la diplomatie française
Pourquoi ce silence ? Pour protéger des intérêts. Car l’Indonésie, immense archipel de plus de 17 000 îles, est un partenaire convoité.
Le régime autoritaire de Suharto, malgré ses méthodes brutales, est un bon client et un allié stratégique dans la lutte contre le communisme.
La diplomatie française, héritière d’un gaullisme devenu pragmatisme cynique, n’a pas jugé utile de défendre un peuple “sans importance stratégique”.
La vie de 200 000 Timorais valait-elle moins qu’un contrat d’hélicoptères ?
L’implication de la France dépasse le silence : elle se fait par les armes et le commerce de mort. En 1981, la France autorise la production sous licence des hélicoptères Super Puma AS332 en Indonésie. Assemblés par PT Dirgantara Indonesia, ces appareils seront ensuite utilisés par l’armée indonésienne dans des opérations de transport militaire et de contre-insurrection au Timor oriental.
La France livre également des corvettes, des systèmes radar, de l’équipement de communication militaire, consolidant la domination maritime et terrestre de Jakarta. Elle forme des militaires indonésiens, fournit l’entretien des appareils, et offre un vernis technologique à une armée qui torture et exécute.
Pire encore, la France a poursuivi ces ventes d’armes, sans la moindre moratoire, même après le massacre filmé de Santa Cruz en 1991, où des centaines de civils timorais furent froidement abattus sous le regard du monde.
Les victimes timoraises ne sont pas mortes seulement par des armes américaines ou britanniques. La France a sa part de sang sur les mains.
Le camouflage onusien : abstentions et neutralité fallacieuse
À l’ONU, la France adopte une posture hypocrite : elle ne reconnaît pas l’annexion du Timor oriental, mais s’abstient systématiquement lors des résolutions condamnant Jakarta. Elle invoque le sacro-saint principe de non-ingérence — sauf quand il s’agit de défendre ses intérêts en Afrique ou au Moyen-Orient.
La République, si prompte à invoquer les droits de l’homme pour des interventions sélectives, devient muette face à un génocide lent, chronique, documenté.
La chute de Suharto: changement de cap sans repentance
En 1998, le régime de Suharto s’effondre. Le peuple timorais vote pour son indépendance à plus de 78 %, malgré les violences orchestrées par les milices pro-indonésiennes.
La France soutient alors timidement la force internationale d’interposition (INTERFET). Elle participe même à l’aide à la reconstruction.
Mais à aucun moment elle ne reconnaît sa passivité, ni n’exprime de regrets pour ses ventes d’armes. Aucun ministre, aucun président ne présente d’excuse au peuple timorais. La complicité historique est effacée d’un revers de discours technocratique.
Une diplomatie des droits de l’homme à géométrie variable
La politique étrangère française se veut universaliste, mais son application est profondément sélective. Elle défend la démocratie quand cela sert ses intérêts, mais soutient des dictatures si elles achètent ses missiles ou ses hélicoptères. Le Timor oriental en est un exemple flagrant.
Ce que la France a fait au Timor oriental, c’est ce qu’elle continue de faire ailleurs : se cacher derrière les principes tout en commerçant avec les bourreaux.
Réparer l’histoire : des actes, pas des discours
Le Timor-Leste est aujourd’hui indépendant, mais meurtri. Sa population porte encore les cicatrices de l’occupation. La mémoire du génocide reste vive, même si le monde l’a déjà oublié.
Il est temps que la France :
- Reconnaisse sa responsabilité diplomatique et militaire dans le prolongement de l’occupation.
- Présente des excuses officielles au peuple timorais.
- Interroge sa propre doctrine militaire et diplomatique, pour ne plus jamais soutenir des régimes qui assassinent au nom de la stabilité.
Il faut briser le double langage !
Le cas du Timor oriental est un miroir cruel de la politique extérieure française : entre les beaux discours et les réalités sanglantes, il y a souvent une montagne d’hypocrisie.
La France, patrie des droits de l’homme, a trop souvent vendu ces droits contre des marchés d’armement.
Il ne suffit pas de célébrer la liberté : encore faut-il avoir le courage de la défendre — même quand cela dérange nos partenaires.