Sukarno, entre audace personnelle et combat contre le Nekolim
Dans l’ombre des grandes puissances mondiales de l’après-guerre, l’Indonésie s’affirmait comme un jeune État aux ambitions révolutionnaires. À sa tête, Sukarno, charismatique et audacieux, incarnait à la fois l’âme de la nation et la voix de ceux qui rejetaient le joug des anciennes puissances coloniales et des empires modernes. Pour lui, le combat n’était pas seulement politique ou économique : il était existentiel, moral et culturel. La lutte contre le Nekolim — néo-colonialisme et impérialisme — constituait le cœur de sa vision pour un nouveau monde.
Entre ambition personnelle et bien commun
L’homme derrière le président était complexe. Sukarno savait que sa position personnelle, son charisme et son autorité seraient indispensables pour mener ce combat. Mais son ambition personnelle ne se limitait pas à la gloire : elle se conjuguait avec un véritable souci du bien commun. Il voulait que l’Indonésie devienne un phare pour les nations du Sud, un laboratoire d’indépendance économique, sociale et culturelle.
Sa stratégie était audacieuse. Il forgeait des alliances internationales, notamment avec l’URSS et la Chine, pour contrer l’influence occidentale, tout en promouvant le mouvement des Non-Alignés comme voix collective des jeunes nations. Mais il n’était pas aveugle aux risques : centralisation du pouvoir, tensions politiques internes, pressions militaires et économiques. Chaque action de Sukarno oscillait entre l’éclat d’un visionnaire et la fragilité d’un système en construction.
Nekolim : l’ennemi invisible
Pour Sukarno, le néo-colonialisme et l’impérialisme représentaient un danger subtil mais omniprésent. Même après le départ physique des anciennes puissances coloniales, leur influence persistait à travers le commerce, les investissements, la culture et la diplomatie coercitive. Quant aux superpuissances de la Guerre froide, elles cherchaient à instrumentaliser l’Indonésie dans leur stratégie géopolitique, menaçant directement la souveraineté nationale.
Dans son célèbre discours du 30 septembre 1960 devant l’Assemblée générale des Nations Unies, intitulé « To Build the World Anew », Sukarno proclamait :
« La lutte pour l’indépendance nationale contre le colonialisme et l’impérialisme s’inscrit désormais dans le cadre d’une Révolution de l’Humanité, une confrontation entre les Nouvelles Forces Émergentes et l’Ordre Ancien Établi. »
Ces mots reflètent sa vision d’un monde en pleine transformation, où les nations nouvellement indépendantes défient les anciennes puissances et les structures héritées de la domination coloniale.
L’Indonésie devait non seulement résister à l’oppression économique et militaire, mais aussi incarner un modèle alternatif de développement et de dignité nationale, affirmant ainsi sa place comme acteur indépendant sur la scène internationale.
Une vision de « Nouveau Monde »
Pour Sukarno, le combat contre le Nekolim n’était pas seulement défensif. Il s’agissait de construire un nouveau monde, où les peuples autrefois colonisés pourraient décider de leur destin. Cette vision se traduisait dans la politique intérieure par le Resopim — centré sur la révolution, le socialisme et le leadership — et le Nasakom, visant à concilier nationalisme, religion et communisme, pour tenter d’unir les forces nationales autour d’une révolution socialiste indonésienne.
Sukarno rêvait d’une Indonésie capable d’inspirer le monde : une nation fière, indépendante et culturellement affirmée, résistant à toutes les formes de domination extérieure. Chaque discours, chaque manifestation, chaque visite à l’étranger était un acte de résistance et de proclamation : le Néocolonialisme et l’Impérialisme n’étaient pas des fatalités, mais des adversaires à combattre par l’audace, l’intelligence et la solidarité.
L’héritage de la lutte contre le Nekolim
Le projet de Sukarno demeure à la fois fascinant et tragique. Sa détermination à libérer l’Indonésie du néo-colonialisme et de l’impérialisme a inspiré toute une génération et marqué durablement l’histoire diplomatique mondiale.
Pour autant, l’admiration que suscite Sukarno ne doit pas faire oublier les contradictions de sa personnalité et de son leadership. Charismatique et visionnaire, il a su incarner l’Indonésie sur la scène internationale, mais son goût pour le pouvoir et certaines décisions autoritaires révèlent une ambivalence persistante.
Cette tension entre audace politique et inclinations personnelles rend son héritage complexe : Sukarno reste à la fois le père de l’indépendance et un dirigeant dont les choix parfois contestables continuent d’alimenter débats et controverses.
Néanmoins, son combat contre le Nekolim conserve toute sa force : il rappelle que l’indépendance ne se mesure pas seulement par la fin de la domination coloniale, mais par la capacité d’une nation à s’affirmer, à construire son destin et à proposer un monde nouveau, juste et libre. Sukarno demeure ainsi le symbole d’un dirigeant qui osait penser grand, prendre des risques considérables et placer le bien commun au cœur de son audace politique.