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Billet de blog 14 septembre 2025

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Abus sexuels et tabou dans l’Église indonésienne

En Indonésie, les abus sexuels au sein de l’Église catholique demeurent largement occultés. Malgré des révélations en 2019 faisant état de 56 victimes et de 33 prêtres impliqués, la hiérarchie ecclésiastique a contesté ces chiffres, invoquant le secret de la confession comme obstacle à la divulgation d’informations, renforçant ainsi une culture du silence.

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Abus sexuels et tabou dans l’Église indonésienne

En Indonésie, les abus sexuels commis au sein de l’Église catholique demeurent un sujet largement occulté. Alors que dans certains milieux musulmans, les violences sexuelles dans les madrassas sont régulièrement relayées par les médias et discutées publiquement, l’Église catholique reste marquée par une culture du silence et du déni.

Des données partielles et contesté

Selon les révélations du père Joseph Kristanto en 2019, secrétaire de la Commission des séminaires de la Conférence épiscopale indonésienne (KWI), au moins 56 victimes ont été identifiées, impliquant 33 prêtres et 23 autres auteurs. Cependant, ces chiffres ne constitueraient que « la partie émergée de l’iceberg », tant le nombre de cas non signalés est probablement beaucoup plus élevé.

Ces révélations ont aussitôt provoqué une réaction défensive de la hiérarchie. Le cardinal Ignatius Suharyo, alors archevêque de Jakarta et président de la KWI, a contesté la validité du rapport, affirmant que l’Église n’avait reçu aucune plainte officielle. Il a par ailleurs rappelé que le secret de la confession empêchait les prêtres de divulguer certaines révélations, même en cas d’abus sexuels, allant jusqu’à déclarer qu’un prêtre devrait « aller en prison » plutôt que de violer ce secret sacramentel.

Le poids du silence institutionnel et l’auto-censure des fidèles

La hiérarchie catholique indonésienne adopte souvent une rhétorique qui, tout en invitant à la prudence, peut faire sentir une certaine culpabilité et ainsi dissuader de s’exprimer publiquement, résumée par l’idée : mieux vaut ne pas commenter sans connaître tous les éléments du dossier.

Cela vaut pour les abus sexuels comme pour d’autres dossiers sensibles. Face aux violences d’État — au Timor oriental ou en Papouasie occidentale — l’Église indonésienne a trop souvent choisi le silence. Cette prudence, justifiée comme stratégie de survie, s’est muée en complicité. Elle illustre une logique de contrôle de la parole, qui reporte la responsabilité sur les victimes ou leurs défenseurs et finit par renforcer le silence.

Au-delà de la hiérarchie, la pression culturelle s’exerce également sur les fidèles. Beaucoup choisissent l’auto-censure, par peur de « salir l’image de l’institution » ou de rompre avec leur communauté. Cette logique contribue à maintenir les abus dans l’ombre et à protéger l’institution davantage que les victimes. Mais la tendance commence à changer : des voix dissidentes se font entendre.

Un exemple récent illustre cette dynamique : en 2024, Mgr Paskalis Bruno Syukur, évêque de Bogor, a renoncé à sa nomination au cardinalat après avoir été publiquement critiqué pour sa gestion jugée trop clémente des cas d’abus survenus dans son diocèse.

Ce retrait n’est pas un simple geste personnel, mais le symptôme d’un malaise plus profond : celui d’une Église confrontée à ses propres contradictions entre la protection de l’institution et la recherche de justice pour les victimes. 

La décision de Mgr Syukur rappelle combien la peur – peur du scandale, peur d’affaiblir l’autorité ecclésiale, peur de briser l’unité – continue de dicter certains choix. En même temps, elle révèle la pression croissante de l’opinion publique et des fidèles, qui exigent transparence et responsabilité. 

Une opportunité manquée : la visite du pape François en 2024

La visite du pape François en Indonésie en septembre 2024 aurait pu être l’occasion de mettre publiquement en lumière les abus sexuels au sein de l’Église indonésienne. De nombreuses victimes et acteurs de la société civile espéraient que le souverain pontife incite la hiérarchie locale à adopter plus de transparence et de responsabilité. Pourtant, toute discussion sur ce sujet a été rapidement écartée.

L’ensemble de la visite a été marqué par une prudence diplomatique extrême et un refus catégorique d’aborder les scandales internes. Le Pape François semblait davantage préoccupé par le dialogue interreligieux que par toute autre question. Si les migrants ont été honorés, les victimes de violences sexuelles n’ont reçu aucune attention. Par ailleurs, une manifestation d’étudiants catholiques papous devant l’ambassade du Vatican, destinée à dénoncer les opérations militaires indonésiennes, a été réprimée, sans la moindre réaction des autorités ecclésiales.

Cette tentative manquée illustre combien la culture du silence reste profondément ancrée et combien il est difficile pour les victimes de voir leur souffrance reconnue, même sur la scène internationale.

Par contraste avec la visibilité des abus dans les institutions islamiques

Il serait réducteur de croire qu’en Indonésie les dérives sexuelles concernent uniquement l’Église catholique. Dans les milieux islamiques, en particulier dans certaines madrassas, ces violences font régulièrement l’objet de reportages médiatiques et de procédures judiciaires. Même si le traitement de ces affaires reste problématique, cette visibilité ouvre au moins un espace de débat public et favorise la reconnaissance sociale de la gravité de ce phénomène.

À l’inverse, dans l’Église catholique, la culture du secret et du tabou continue de prévaloir, protégeant l’institution plutôt que les victimes. Rompre avec cet état d’esprit reste difficile : l’on préfère encore « laver son linge sale en famille ». 

Vers une nécessaire transparence

Ce constat en Indonésie peut servir de miroir pour la France. La publication du rapport de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) en 2021 a révélé l’ampleur du silence institutionnel et des dysfonctionnements dans la prise en charge des victimes d’abus sexuels dans l’Église française. Comme en Indonésie, les annonces de principes et les discours sur la « tolérance zéro » ne suffisent pas à eux seuls.

La question centrale demeure celle du suivi : les mesures concrètes seront-elles mises en œuvre, traduisant une vraie repentance, ou resteront-elles sur le papier, permettant d’enterrer le scandale sans réelle transformation ? Tant que la mise en œuvre reste incomplète, le risque est que la crédibilité morale de l’Église continue à s’éroder. 

Sources :

  • Le déni des violences sexuelles derrière les murs épais de l’Église catholique

https://tirto.id/penyangkalan-kekerasan-seksual-di-balik-tembok-tebal-gereja-katolik-fTVm

  • Mgr Paskalis Bruno Syukur, OFM, évêque natif de Flores, ne deviendra pas cardinal

https://floresa.co/nusantara/68340/2024/10/23/msgr-paskalis-bruno-syukur-ofm-uskup-kelahiran-flores-batal-jadi-kardinalnews/

  • Pétition pour enquêter sur les crimes sexuels au sein de l’Église catholique indonésienne

https://www.change.org/p/kardinal-dan-semua-uskup-gereja-katolik-di-indonesia-jangan-tutupi-kejahatan-seksual-di-gereja-katolik-indonesia-namabaikgereja

  • Après la sortie du rapport de la Ciase, un difficile travail de fond

https://www.lepelerin.com/religions-et-spiritualites/lactualite-de-leglise/rapport-de-la-ciase-quatre-ans-apres-ce-quil-reste-a-faire-11501

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