Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 15 juillet 2025

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Quidquid Recipitur : De la nécessité de s’arracher aux environnements toxiques

Selon le principe scolastique “quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur”, chaque influence est reçue selon l’état intérieur de celui qui la reçoit. Cet essai explore comment les environnements toxiques altèrent notre capacité à penser, sentir et aimer, et pourquoi s’en extraire devient un acte vital de préservation de soi.

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Quidquid Recipitur : De la nécessité de s’arracher aux environnements toxiques

« Quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur. »

— Principe scolastique

Le principe scolastique quidquid recipitur ad modum recipientis recipitur — « tout ce qui est reçu l’est selon le mode du récepteur » — pose une vérité anthropologique et existentielle fondamentale : toute interaction avec le monde, tout événement, toute parole reçue, ne prend sens qu’en fonction de la disposition intérieure de celui qui reçoit. Mais ce principe, loin de n’être qu’un axiome abstrait, devient un cri d’alarme lorsqu’il s’applique à la vie quotidienne, à nos relations, à nos milieux de travail, à nos communautés. Il nous appelle à une vigilance éthique : ne pas s’enfermer dans des milieux toxiques qui altèrent notre capacité de recevoir sainement le réel.

Le récepteur déformé : quand l’être s’altère par l’habitude du mal

Vivre dans un environnement toxique, c’est exister sous un régime d’asphyxie psychique et morale. Ce n’est pas seulement être exposé à la violence, à la manipulation, au cynisme ou à la négativité permanente ; c’est surtout risquer de les intérioriser comme norme. Le poison ne tue pas toujours d’un coup. Il agit à travers l’accoutumance.

À force de recevoir des paroles blessantes, nous devenons sourds à la beauté du langage. À force de subir des jugements ou d’être entourés de juges, nous finissons par nous juger nous-mêmes avec cruauté. L’environnement influence non seulement nos pensées, mais aussi notre manière d’être au monde — il modèle le récepteur.

C’est ici que le principe scolastique devient tragiquement réel : ce que nous recevons de l’extérieur est filtré, transformé, parfois déformé par l’état intérieur que cet environnement entretient en nous. L’être altéré ne reçoit plus la lumière. Il ne reçoit plus que l’ombre. Le regard devient terne, la parole défensive, le cœur en repli.

L’exil nécessaire : fuir n’est pas fuir, c’est vivre

Face à cette déformation de l’intériorité, la philosophie de l’action impose une exigence : celle de l’exil salvateur. Il faut savoir partir, non par lâcheté, mais par lucidité. La fuite hors d’un espace toxique n’est pas une défaite, mais une affirmation de la vie. Fuir un espace malsain, c’est protéger sa faculté de réception — donc de penser, d’aimer, d’être libre.

La liberté, écrivait Simone Weil, consiste d’abord à dire « non » à ce qui détruit silencieusement l’âme. Rester dans un milieu toxique par peur de déplaire, de choquer, ou de perdre des liens, c’est souvent céder à une forme de servitude volontaire. Ce que Descartes appelait l’erreur née de la volonté mal employée.

Quitter un environnement néfaste, c’est exercer une éthique du soin de soi. Non pas dans une perspective égoïste, mais dans une logique de préservation de la dignité, de la santé mentale, de la vérité du sujet. C’est refuser que l’extérieur déforme ce que nous avons de plus précieux : notre capacité de recevoir le vrai, le bon, le beau.

Reconfigurer l’espace intérieur : reconstruire le récepteur

Mais s’arracher à l’environnement toxique ne suffit pas. Encore faut-il reconfigurer le récepteur, rééduquer notre manière de recevoir, de penser, d’entrer en relation. Il ne s’agit pas simplement de changer de lieu, mais de changer de posture intérieure. Se désintoxiquer, c’est aussi réapprendre à recevoir autrement.

Cela passe par le silence, la contemplation, la rencontre avec des êtres porteurs de lumière. Cela passe par la lecture, l’art, la prière, la pensée libre. Et surtout, cela passe par une réhabilitation de l’estime de soi, trop souvent sapée par les systèmes de pouvoir toxiques ou les logiques de performance déshumanisantes.

La liberté de recevoir sainement

Le principe quidquid recipitur nous invite à une forme d’éveil : ce que nous recevons n’est jamais neutre, et notre manière de recevoir dépend de notre santé intérieure. Il est donc vital, pour préserver cette capacité de recevoir sainement, de refuser les environnements qui nous abîment. Ne pas s’en extraire, c’est prendre le risque de devenir incapable d’aimer, de comprendre, d’être libre.

Le combat contre la toxicité sociale, relationnelle ou institutionnelle n’est pas un luxe : c’est une nécessité existentielle. Car toute réception déformée finit par devenir une vie diminuée. Or notre vocation humaine n’est pas de survivre dans la pénombre, mais de recevoir la lumière dans toute sa splendeur.

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