La guerre sans fin en Papouasie occidentale
Depuis six décennies, la Papouasie occidentale, composée de six provinces situées à l’extrême est de l’Indonésie, vit une guerre silencieuse mêlant répression politique, revendications identitaires et souffrances civiles oubliées.
Ce conflit, souvent relégué aux marges du débat public indonésien, oppose l’État central à des groupes indépendantistes papous, dans une spirale de violence où les civils paient le prix le plus lourd. Les opérations militaires s’enchaînent, les villages sont déplacés, les morts s’accumulent, tandis que le silence recouvre les montagnes de Nduga et d’Intan Jaya.
En septembre 2024, la libération du pilote néo-zélandais Philip Mehrtens, détenu pendant dix-neuf mois par l’armée de libération de la Papouasie occidentale (TPNPB), avait brièvement attiré l’attention du monde extérieur. Un responsable local, cité par le média Lao-Lao Papua, se souvenait : « Quand Mehrtens était encore dans les montagnes centrales, le monde regardait un instant vers nous. Mais quand il a été libéré, tout le monde a cessé d’y penser. Nous, les habitants, restons prisonniers ici, incapables de retrouver nos foyers, notre liberté. »
Ce témoignage résume la fracture entre le centre et la périphérie : une Indonésie qui célèbre ses succès diplomatiques d’un côté, et une région maintenue sous tension permanente de l’autre.
Le contraste est d’autant plus frappant que, sous la présidence de Prabowo Subianto, Jakarta s’est voulue messagère de paix sur la scène internationale. L’ancien général, aujourd’hui chef d’État, a multiplié les gestes symboliques en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza et plaidé pour la défense des droits palestiniens. Pourtant, dans ses propres montagnes, aucune main n’a été tendue vers les indépendantistes papous. Le président qui appelle à la paix au Proche-Orient semble incapable, ou refusant, d’engager un dialogue politique à l’intérieur de ses frontières.
Sur le terrain, la situation se dégrade. Des témoins évoquent des bombardements aériens, des villages rasés, des disparitions. Le défenseur des droits humains Theo Hesegem, interrogé par Lao-Lao Papua, dénonce « un usage excessif de la force, sans distinction entre civils et combattants ». L’un des cas les plus marquants est celui d’Abral Wandikbo, un jeune homme de 27 ans, retrouvé mutilé après avoir été enlevé par des soldats. Ces violences, récurrentes, visent à briser toute résistance, mais elles nourrissent au contraire le sentiment d’injustice et le désir d’indépendance.
Depuis 2018, la guerre s’est intensifiée dans les montagnes centrales. Des dizaines de milliers de civils ont fui leurs villages, vivant désormais dans des abris précaires ou cachés dans la jungle. Les estimations des Nations unies parlent de 60 000 à 100 000 déplacés internes. Beaucoup meurent de faim ou de maladie, faute d’accès humanitaire. Les ONG étrangères, souvent interdites d’entrée, peinent à documenter l’ampleur des abus.
Au-delà de la violence militaire, la Papouasie subit aussi une colonisation économique. Le projet d’infrastructure Trans-Papua, présenté par Jakarta comme un instrument de développement et de « civilisation », ouvre en réalité la voie à l’exploitation minière, forestière et agricole par des entreprises extérieures. Derrière le discours du progrès se cache une dépossession systématique : les terres traditionnelles sont confisquées, les forêts détruites, les rivières polluées. Les Papous voient leur monde disparaître au nom de la modernité.
Dans ce contexte, le message de paix de Prabowo résonne comme une ironie tragique. Comment un président peut-il défendre la fin des violences à Gaza tout en perpétuant, chez lui, un conflit où les civils sont bombardés, déplacés, tués sans justice ? À Jakarta, on parle de stabilité et de développement. En Papouasie, on parle de survie. Le fossé n’a jamais été aussi grand.
Ce double langage illustre la politique de l’oubli : une diplomatie tournée vers l’extérieur, soucieuse d’image, et un autoritarisme intérieur hérité d’une longue tradition militaire. Dans les collines papoues, les familles continuent d’enterrer leurs morts en silence, sans témoins, sans caméras. Et tant que le dialogue restera impossible, la paix que Prabowo invoque pour Gaza ne trouvera jamais d’écho sur la terre qu’il gouverne.
Source :
https://laolaopapua.com/2025/06/24/perang-west-papua-tiada-ujung/