Sous les ailes du pouvoir : l’Indonésie face à sa tentation militariste
Depuis quelques années, l’Indonésie semble saisie par un vertige — un vertige d’acier, de flammes, de missiles et d’ailes supersoniques.
Ce vaste archipel, autrefois présenté comme un havre de non-alignement, se transforme peu à peu en un théâtre d’affrontement silencieux, orchestré par une frénésie d’achat d’armes qui intrigue, inquiète et fascine.
La communauté internationale observe, souvent en silence, tandis que Jakarta signe contrat après contrat, dépense des milliards et renforce son arsenal comme si une guerre se profilait à l’horizon.
Prabowo Subianto : un rêve d’Indonésie forte
Il faut remonter à 2019, lorsque Prabowo Subianto est nommé ministre de la Défense, pour comprendre l’accélération de cette dynamique.
Ancien général controversé, marqué à jamais par les accusations de crimes contre l’humanité, notamment au Timor oriental, Prabowo incarne un rêve : celui d’une Indonésie forte, respectée, redoutée. Dès son entrée en fonction, les catalogues militaires deviennent ses livres de chevet, les salons d’armement ses lieux de pèlerinage.
Une note de l’Institut des Libertés souligne que « Jakarta a exprimé sa préoccupation face à la course aux armements et à la projection de puissance dans la région », témoignant ainsi d’une volonté stratégique affirmée d’indépendance militaire et diplomatique.
Une stratégie tous azimuts, un arsenal pléthorique
En quelques années, le pays s’équipe : Rafale français, F-15 américains, missiles BrahMos indiens, drones turcs, sous-marins français, frégates britanniques, systèmes sud-coréens. Une politique d’achats multiformes qui trahit une volonté de ne dépendre d’aucun camp mais aussi de tirer parti des rivalités internationales. Depuis 2022, l'Indonésie a signé plus de 15 lettres d’intention (LoI) dans le domaine de la défense !
Derrière cette modernisation affichée se profile une stratégie plus profonde : restaurer le prestige militaire et élargir l’influence politique de l’armée, élément encore puissant et parfois autoritaire de la vie indonésienne.
Un paradoxe économique et social
Mais ce réarmement spectaculaire a un coût. Tandis que la pauvreté et les inégalités s’aggravent, que les services publics s’effondrent, que des régions entières restent marginalisées, l’État consacre des milliards à des armements que beaucoup ne verront jamais autrement qu’à travers les écrans.
Pour certains observateurs, investir massivement dans la guerre plutôt que dans le développement durable constitue un choix politique lourd de conséquences, qui risque de pénaliser en priorité les populations les plus vulnérables.
Le spectre de la militarisation politique et sociale
En Papouasie occidentale, région rattachée à l’Indonésie dans un contexte historique controversé en 1963, la montée en puissance militaire suscite des perceptions contrastées.
Pour une partie de la population, la présence renforcée d’avions, de drones et d’hélicoptères ne constitue pas une promesse de sécurité, mais évoque plutôt une forme de pression, souvent interprétée comme la prolongation d’une colonisation interne.
Si ce réarmement est officiellement justifié comme un moyen de maintien de l’ordre et de protection, il alimente néanmoins un climat de méfiance et complique les perspectives d’un dialogue apaisé.
Géopolitique et diplomatie de l’armement
L’Indonésie manœuvre habilement entre grandes puissances : un contrat avec la France ici, une coopération avec la Turquie là, des discussions avec la Chine et les États-Unis. Chaque achat d’arme est aussi un acte diplomatique, un message adressé à ses partenaires et concurrents régionaux.
Cette géopolitique de l’équilibre cache une réalité : un pays qui cherche à affirmer son autonomie dans un contexte asiatique marqué par la montée des tensions.
Vers une société militarisée : à quel prix ?
Le fossé se creuse entre une élite qui s’arme et une majorité qui se bat pour survivre. Les ressources investies dans la défense auraient pu nourrir l’éducation, la santé, la transition écologique. À force de privilégier la force, l’Indonésie risque de perdre le lien fragile qui unit ses peuples.
« Le choix du militaire comme pilier de la nation revient à choisir la peur plutôt que la confiance, la division plutôt que le dialogue ».
Un tournant aux enjeux civilisationnels
L’Indonésie paraît aujourd’hui engagée sur une trajectoire périlleuse : sa modernisation militaire ne répond plus seulement à des impératifs de défense, mais traduit une ambition de puissance qui risque d’attiser des tensions sociales et politiques latentes.
Ce choix marque un tournant historique, où la grandeur nationale se mesure en armes plutôt qu’en justice ou en paix sociale et écologique.
La question qui se pose est simple : que restera-t-il d’un État qui aura investi dans la guerre plutôt que dans la vie ?