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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 16 septembre 2025

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Soutien à la Palestine : l’épreuve de vérité pour l’Indonésie

À Gaza, face à la crise humanitaire, l’Indonésie pourrait franchir un cap : soutenir pleinement la Palestine et rompre ses liens semi-secrets avec Israël, affirmant que son engagement n’est pas que rhétorique mais guidé par justice et diplomatie éthique.

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Soutien à la Palestine : l’épreuve de vérité pour l’Indonésie

Face à la crise humanitaire aggravante à Gaza, l’Indonésie se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, elle se présente depuis des décennies comme l’un des défenseurs les plus constants de la cause palestinienne, dénonçant régulièrement l’occupation israélienne et plaidant pour la reconnaissance d’un État palestinien indépendant. De l’autre, elle entretient, dans une zone grise, des relations semi-officielles avec Israël, mêlant intérêts économiques, considérations sécuritaires et calculs diplomatiques. Cette tension entre discours et pratiques interroge la cohérence morale de la diplomatie indonésienne.

Une solidarité historique et idéologique

Depuis la conférence de Bandung en 1955, l’Indonésie a inscrit la question palestinienne dans le cœur de sa politique étrangère. Ne reconnaissant pas Israël tant qu’un État palestinien n’existe pas, Jakarta a toujours mis en avant le droit à l’autodétermination et la lutte contre toute forme de colonisation, en accord avec sa Constitution de 1945. Dans l’opinion publique, la cause palestinienne est largement perçue comme un impératif religieux, moral et politique. Cette posture nourrit le prestige international de l’Indonésie dans le monde musulman et au sein du Sud global.

La diplomatie de l’ombre

Pourtant, cette fermeté affichée coexiste avec une réalité plus ambiguë. Dès les années 1960, des contacts informels entre responsables indonésiens et israéliens ont été signalés. Dans les décennies suivantes, des échanges commerciaux limités, des dialogues discrets sur la sécurité et même des coopérations dans certains domaines techniques ont émergé. Bien que démenties ou minimisées publiquement, ces interactions sont connues des diplomates et révèlent une diplomatie parallèle. Elles traduisent une logique pragmatique : garder une porte entrouverte avec Tel-Aviv tout en proclamant un soutien indéfectible à la Palestine.

La contradiction entre paroles et actes

Cette dualité fragilise la crédibilité de l’Indonésie. Comment prétendre défendre la justice internationale si l’on entretient, même discrètement, des relations avec la puissance occupant la Palestine ? Dans un monde où les Accords d’Abraham ont conduit plusieurs pays musulmans à normaliser leurs relations avec Israël, Jakarta tente de se distinguer. Mais ce positionnement hybride — refus officiel, dialogue officieux — risque de paraître moins comme une stratégie d’équilibre que comme une diplomatie de duplicité.

Un moment décisif

La situation dramatique à Gaza, où les bombardements et les blocus provoquent une catastrophe humanitaire, place l’Indonésie devant un dilemme. Continuer à dénoncer Israël tout en maintenant des contacts souterrains reviendrait à prolonger une ambiguïté intenable. Rompre totalement ces relations semi-secrètes constituerait, en revanche, un acte symbolique fort : l’affirmation d’une solidarité réelle, cohérente et courageuse.

Un tel choix pourrait renforcer le leadership moral de l’Indonésie au sein du monde musulman et aux Nations unies, tout en risquant d’entraîner des répercussions diplomatiques et économiques, notamment vis-à-vis de partenaires occidentaux favorables à Israël.

Entre pragmatisme et courage moral

La question est donc claire : l’Indonésie osera-t-elle aligner ses actes sur ses principes proclamés ? Défendre sincèrement la Palestine ne peut plus se limiter à des discours vibrants dans les forums internationaux. Cela exige une rupture concrète avec les relations ambiguës qui minent la cohérence de sa diplomatie.

Si Jakarta choisissait ce chemin, elle enverrait au monde un message sans équivoque : la cause palestinienne n’est pas seulement un outil rhétorique, mais une lutte universelle contre l’oppression et pour la dignité humaine. Cette cohérence entre paroles et actes est particulièrement attendue à l’occasion du discours que le président Prabowo Subianto prononcera lors de la 80ᵉ session de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le 23 septembre 2025.

Ainsi, le discours à l’ONU ne sera pas seulement un moment de rhétorique : il constitue une opportunité pour l’Indonésie de démontrer que son engagement envers la Palestine est authentique, aligné sur ses principes et prêt à se traduire par des actions concrètes, renforçant ainsi son influence diplomatique et morale sur la scène internationale.

L’ONU comme tribune pour la cohérence diplomatique

Le discours pourra inclure un appel aux États membres de l’ONU pour intensifier l’aide humanitaire et favoriser un règlement pacifique du conflit, rappelant que la communauté internationale ne peut se limiter à des déclarations symboliques.

Jakarta pourrait proposer des initiatives de médiation ou de coopération humanitaire, alignant la rhétorique diplomatique sur des mesures concrètes. En outre, Prabowo pourrait insister sur la nécessité de mettre fin à l’impunité de l’État hébreu en matière de violations du droit international et du droit humanitaire, en appelant à des mécanismes internationaux de responsabilisation, à des enquêtes indépendantes et à des sanctions ciblées afin de garantir justice et protection pour le peuple palestinien. Cette approche, qui concerne des questions humanitaires essentielles, ne viole en rien les principes de non-alignement et de non-ingérence de l’Indonésie.

Parallèlement, l’Indonésie pourrait également tendre la main et écouter la dissidence interne, notamment en Papouasie occidentale, région intégrée dans des circonstances contestées. Ce geste symbolique et pratique montrerait que Jakarta est prête à appliquer les mêmes principes de dialogue, de justice et de respect des droits humains au niveau national qu’au niveau international, renforçant ainsi sa crédibilité et sa cohérence morale sur la scène mondiale.

Espérons que Prabowo osera faire ce choix. En agissant ainsi, il ne se contenterait pas de se racheter d’un passé politique controversé : il pourrait également rendre un immense service à son pays et à l’humanité tout entière, en se positionnant comme un leader mondial de la diplomatie éthique et du respect des droits fondamentaux.

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