Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 16 octobre 2025

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Prabowo, la Palestine et le mirage du “plan Trump”

Entre soutien historique à la Palestine et pragmatisme face à Washington, le président indonésien Prabowo navigue sur une ligne délicate. Son positionnement ambigu vis-à-vis du “plan Trump” et la rumeur d’une visite à Tel-Aviv révèlent les tensions entre opinion publique indonésienne et réalités diplomatiques internationales.

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Prabowo, la Palestine et le mirage du “plan Trump”

Lorsque Donald Trump évoque son “plan de paix” au Proche-Orient, il ne s’agit pas réellement d’une paix juste, mais d’une normalisation sous conditions favorables à Israël et à ses alliés. Le fameux Deal of the Century, présenté en janvier 2020, proposait aux Palestiniens une autonomie administrative fragmentée, des enclaves sans continuité territoriale, et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale indivisible d’Israël. En somme, un État fantôme, privé d’armée, de frontières et de souveraineté réelle.

Le “plan Trump” jugé illégitime

Pour la majorité des Indonésiens, qui perçoivent la question palestinienne comme un héritage moral de la lutte anticoloniale, ce plan n’était rien d’autre qu’une prolongation de l’occupation sous un vernis diplomatique. L’idée d’une Palestine pleinement souveraine, reconnue par les Nations unies, reste au cœur de la position officielle de Jakarta depuis l’époque de Sukarno.

En affichant une certaine bienveillance envers la “proposition” de Trump, Prabowo s’avançait sur une ligne délicate. Dans l’imaginaire collectif indonésien, soutenir un plan qui n’accorde pas l’indépendance totale revient, symboliquement, à trahir la cause palestinienne.

La rumeur de Tel-Aviv : une tempête numérique

C’est dans ce contexte qu’une rumeur a surgi : “Prabowo va se rendre à Tel-Aviv.” Rapidement, les réseaux sociaux indonésiens se sont enflammés. Articles et commentaires se sont multipliés, tandis que des voix musulmanes conservatrices dénonçaient une possible trahison morale.

L’information, initialement relayée par des médias israéliens non confirmés, a déclenché une vague de spéculations sur les intentions réelles du président indonésien, révélant la fragilité d’une diplomatie exposée aux perceptions publiques et aux fake news. Chaque mot ou déplacement supposé d’un dirigeant peut ainsi être interprété comme un signal politique lourd de conséquences, bien avant toute décision officielle.

Face à cette tempête numérique, le gouvernement a dû réagir rapidement : Jakarta a démenti toute visite à Tel-Aviv et confirmé que Prabowo rentrerait directement en Indonésie après le sommet de Sharm el-Sheikh.

Un calcul diplomatique risqué

Prabowo semble néanmoins avoir manœuvré avec prudence. En saluant le rôle de Trump dans le processus de paix, il n’a jamais approuvé explicitement le contenu du plan. Mais l’association de son nom au projet suffisait à susciter des soupçons et critiques sur les réseaux sociaux, certains dénonçant un “glissement moral” ou une “normalisation déguisée”.

Le gouvernement a rappelé que l’Indonésie ne soutient aucun plan qui nie le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La diplomatie de Jakarta reste donc fidèle à sa ligne historique, tout en ménageant une relation de travail pragmatique avec Washington.

L’équilibre est précaire. D’un côté, Prabowo veut montrer qu’il n’est pas prisonnier d’une diplomatie idéologique. De l’autre, il doit convaincre l’opinion publique qu’il n’a pas bradé le rêve d’une Palestine libre et indépendante.

Entre héritage historique et pragmatisme moderne

Depuis Sukarno, l’Indonésie s’est présentée comme la voix des peuples colonisés. À Bandung, en 1955, la cause palestinienne était déjà un symbole du combat contre l’impérialisme. Soixante-dix ans plus tard, Prabowo hérite de ce capital moral, mais dans un contexte géopolitique où l’idéalisme pèse moins que les accords commerciaux et les alliances stratégiques.

Le président indonésien cherche ainsi à concilier la fidélité postcoloniale à la cause palestinienne, perçue comme un devoir moral et historique, et le pragmatisme néoréaliste d’un rapprochement avec les États-Unis, garants du statu quo israélien. Entre idéal et intérêt, Prabowo avance sur une ligne étroite, modulant sa rhétorique selon l’auditoire pour rester à la fois défenseur des opprimés et partenaire des puissants.

Ce grand écart rhétorique, s’il se comprend sur la scène internationale, reste difficile à faire accepter à une opinion publique qui ne veut pas d’une Palestine sous tutelle. Le défi de Prabowo est clair : maintenir la crédibilité morale de l’Indonésie tout en jouant le jeu complexe de la diplomatie globale.

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