Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 17 juin 2025

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Cantine gratuite : bon sens social ou illusion populiste ?

L’Indonésie de Prabowo vient de lancer un programme de repas gratuits pour 80 millions d’enfants. Une promesse sociale d’ampleur historique… ou un mirage populiste aux relents clientélistes ? Et si la France imitait Jakarta ? Entre bonne intention et piège budgétaire, cette idée généreuse mérite d’être passée à la moulinette critique.

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Cantine gratuite à la Prabowo : bon sens social ou illusion populiste ? Et si la France imitait l’Indonésie ?

Alors que le futur président indonésien Prabowo Subianto promet des repas gratuits pour plus de 80 millions d’enfants dans son pays, la proposition étonne par son ampleur et intrigue par ses conséquences. Louable sur le papier, ce projet pose de sérieuses questions sur la gestion, la faisabilité et la sincérité politique. Que se passerait-il si la France s’en inspirait ? Serait-ce une avancée sociale bienvenue ou une usine à gaz coûteuse au service du populisme ?

Dans cette réflexion à mi-chemin entre Jakarta et Paris, essayons d’y voir clair — avec, en prime, une petite anecdote fromagère.

Une promesse généreuse, mais un coût salé

Le projet indonésien repose sur un principe simple : offrir un repas complet et du lait à chaque élève, chaque jour d’école. L’objectif est de lutter contre la malnutrition, mais aussi de soutenir l’agriculture locale. Si l’on transpose cette idée en France, on parlerait d’environ 12 millions d’élèves. À 5 euros le repas, le calcul est rapide : près de 60 millions d’euros par jour, soit environ 10 à 12 milliards par an. C’est plus que le budget du ministère de la Justice.

Égalité ou uniformité ?

D’un point de vue social, l’idée d’une cantine gratuite pour tous peut sembler irrésistible. Mais le diable se cache dans les détails. En France, le système actuel repose sur des tarifs modulés selon les revenus : certains paient 1 euro, d’autres 5, d’autres rien du tout. Une gratuité universelle profiterait donc aussi aux familles les plus aisées. Est-ce vraiment ce que l’on appelle la justice sociale ?

C’est un peu comme offrir une boîte de camemberts AOP à chaque foyer, milliardaires compris. Imaginez la scène : un énarque du XVIe arrondissement qui, après avoir garé sa Tesla, se plaint que son camembert gratuit n’est pas assez affiné. Une belle image de l’égalité républicaine... vue par l’absurde.

Un levier économique, mais à haut risque

La proposition a aussi des atouts économiques. Elle pourrait revitaliser les filières agricoles locales, relancer les circuits courts, et créer de l’emploi dans la restauration collective. Encore faut-il que tout cela soit encadré, transparent et structuré. Or, dans des pays où la gouvernance reste faible, les grands programmes publics sont souvent l’antichambre de la corruption. Les fournisseurs amis, les appels d’offres flous, les détournements subtils — tout cela peut transformer un projet social en jackpot clientéliste.

En France, on ne serait pas à l’abri non plus : souvenons-nous de certaines affaires liées aux marchés publics de restauration scolaire ou hospitalière. La complexité logistique d’un tel projet le rend aussi fragile qu’une mousse au chocolat servie en plein soleil.

Populisme bienveillant ou manipulation électorale ?

Enfin, il y a la question de la sincérité politique. La promesse de Prabowo, comme souvent en période électorale, a des allures de cheval de Troie : séduire les masses avec une mesure tangible, facilement compréhensible, et qui crée une forme de dépendance affective envers l’État. En France aussi, on connaît cette tentation du coup d’éclat social qui masque l’absence de vision globale.

Donner à manger ou penser l’alimentation ?

La vraie question n’est donc pas : faut-il nourrir gratuitement nos enfants ? Mais plutôt : comment le faire de manière juste, durable et intelligente ?

Cela impliquerait de cibler les publics les plus fragiles, d’intégrer la cantine dans un projet éducatif sur l’alimentation, de renforcer les contrôles sur les marchés publics, et surtout de ne pas confondre égalité avec uniformité.

Distribuer un repas chaud par jour à tous les enfants n’est pas absurde. Mais encore faut-il que cela ne serve pas à dissimuler d’autres appétits bien moins avouables.

Entre cuisine sociale et recettes électorales

En fin de compte, si le menu proposé par Prabowo semble alléchant, il faudra s’assurer que derrière les plats servis, il ne s’agisse pas d’une grande cuisine électorale. Car on le sait bien : en politique comme en cuisine, ce n’est pas la quantité qui fait la qualité.

Et pour l’amour du fromage, épargnons nos cantines d’un programme nationalisé qui finirait par nous faire regretter le bon vieux pain-beurre-confiture de la récré.

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