Démocratie républicaine vs pouvoir traditionnel : les autorités en France et en Indonésie
La manière dont une société conçoit et exerce l’autorité politique révèle bien plus que ses institutions : elle traduit les rapports culturels, historiques et philosophiques qui structurent la relation entre gouvernants et gouvernés.
Cette réflexion s’appuie sur une comparaison entre deux figures emblématiques du pouvoir : le président en France et son homologue en Indonésie. Ces deux modèles incarnent des conceptions radicalement opposées de la légitimité et de l’exercice du pouvoir.
Le premier modèle repose sur la souveraineté populaire, la représentation et le débat démocratique. Le second s’ancre dans la sacralité, la paternité symbolique et la piété filiale.
Cette opposition soulève des questions fondamentales sur la nature même de l’autorité, sa réception sociale ainsi que ses effets politiques.
La présidence française : incarnation de la démocratie et objet de controverse
Le président de la République française est, par définition, le premier magistrat élu directement par le peuple. Cette élection universelle place la légitimité du chef de l’État dans la volonté populaire, inscrivant le pouvoir dans un cadre légal, renouvelable et transparent. Cette configuration est une conquête historique, fruit d’une longue lutte contre les formes absolutistes et monarchiques de gouvernement.
Cependant, cette légitimité démocratique ne garantit pas la vénération inconditionnelle. Au contraire, la figure présidentielle est constamment soumise à la critique, à la contestation, parfois même à la défiance. Le président est à la fois un symbole d’unité nationale et une cible politique. Cette dualité s’est illustrée à plusieurs reprises : les manifestations des « gilets jaunes » ont révélé une fracture profonde entre Emmanuel Macron et une partie significative de la population, mettant en lumière un ressentiment social et un sentiment d’éloignement entre gouvernants et gouvernés.
On peut également évoquer Charles de Gaulle, tantôt adulé comme le sauveur de la nation, tantôt contesté notamment lors des événements de mai 68. Sa posture présidentielle, bien que charismatique, n’a pas empêché la contestation politique et sociale. Cela montre que la démocratie française tolère – et valorise – le débat, la critique et la remise en cause du pouvoir, considérant ces pratiques comme garantes de sa vitalité.
Ainsi, la présidence en France est une figure à la fois forte et vulnérable, investie d’un pouvoir réel mais encadrée par des mécanismes de contrôle. Cette tension est constitutive d’un régime qui refuse toute sacralisation excessive de ses dirigeants afin de préserver la souveraineté populaire.
Les présidents-pères en Indonésie : de figures paternelles à une autorité sacrée
Bien que l’Indonésie soit une démocratie, son fonctionnement s’appuie sur le musyawarah — la délibération et le consensus — qui coexiste avec des formes de pouvoir coutumières valorisant l’harmonie plutôt que la confrontation.
Cette conception du pouvoir se manifeste notamment dans les figures de Soekarno, quasi divinisé malgré des dérives autoritaires, et de Soeharto, encore vénéré comme « père du développement » en dépit des violences de son régime. Le pouvoir y prend souvent une forme féodale : fondé sur la personne plutôt que sur les institutions, il repose sur une légitimité symbolique difficilement contestable. La critique directe est perçue comme un acte de rupture sociale, voire de trahison.
Ce modèle soulève plusieurs enjeux majeurs. D’une part, il peut entrer en contradiction avec les principes universels des droits humains, notamment en restreignant la liberté d’expression. D’autre part, il affaiblit les mécanismes de contrôle démocratique en réduisant la transparence et la responsabilité des dirigeants.
Enfin, son ancrage dans la tradition peut servir de prétexte à une forme d’autoritarisme dissimulé. L’exemple de la présumée collusion entre le président Jokowi et la Cour constitutionnelle, qui aurait modifié la loi afin de permettre à son fils, pourtant âgé de moins de 40 ans, de se présenter à la vice-présidence, illustre clairement ce risque de favoritisme familial.
Polémiques et débats : modernité démocratique contre héritages traditionnels
Le contraste entre ces deux modèles d’autorité fait l’objet de débats intenses. D’un côté, les partisans de la démocratie représentative soulignent que la légitimité politique ne peut reposer que sur le consentement libre et éclairé des citoyens, garanti par des élections transparentes, des droits égaux et une séparation des pouvoirs. Selon eux, toute forme de pouvoir fondée sur la sacralisation d’une figure ou sur une relation personnelle favorise l’arbitraire, la corruption et la répression.
De l’autre côté, certains défenseurs des systèmes traditionnels rappellent que ces formes d’autorité ont permis de maintenir la cohésion sociale, la paix locale et un certain équilibre entre les forces sociales, souvent dans des contextes où les institutions démocratiques peinent à s’imposer. Ils insistent sur la nécessité de respecter les particularités culturelles et de ne pas imposer un modèle universel à toutes les sociétés.Toutefois, cette défense peut être critiquée comme un prétexte pour perpétuer des structures de pouvoir inégalitaires et limiter les libertés individuelles.
La question se pose alors : comment concilier respect des traditions et exigences démocratiques ? Comment éviter que la sacralisation du chef ne devienne un instrument d’oppression ?
Tout cela nous invite à réfléchir sur les différentes formes de légitimité, leurs conséquences sur la liberté et la justice sociale, ainsi que sur la nécessité de concevoir des modèles politiques hybrides conciliant rigueur démocratique et richesse culturelle dans un monde en mutation.