Serge Atlaoui : une liberté sous condition, une justice à deux vitesses
La libération conditionnelle de Serge Atlaoui, annoncée le 15 juillet 2025, clôt un long chapitre diplomatique et judiciaire qui aura duré plus de vingt ans.
Condamné à mort en 2007 pour sa participation présumée à un laboratoire clandestin de production d’ecstasy près de Jakarta, ce ressortissant français avait vu son exécution suspendue in extremis en 2015, après une intense mobilisation internationale.
Sa libération marque une victoire, certes relative, pour les défenseurs des droits humains. Mais elle révèle aussi, en creux, les profondes contradictions du système judiciaire indonésien.
Lutte antidrogue en Indonésie : sévérité médiatique, impunité institutionnelle
L’Indonésie se veut inflexible dans sa lutte contre le trafic de drogue, qu’elle qualifie de menace nationale. Cette posture a, ces dernières années, servi de justification à une politique de répression implacable : condamnations à mort, exécutions, procès expéditifs.
Les étrangers impliqués dans des affaires de stupéfiants y sont souvent traités comme des symboles à exhiber, des exemples destinés à prouver la fermeté de l’État. Mais cette rigueur apparente est sélective.
Elle tranche avec une mansuétude notoire envers les élites corrompues, dont les malversations coûtent pourtant infiniment plus cher à la société indonésienne que les actes individuels liés à la drogue.
Entre répression des faibles et indulgence des puissants
Il y a, dans cette justice à deux vitesses, une hiérarchie implicite des valeurs. On punit sévèrement les crimes associés aux marges — pauvreté, délinquance, précarité — alors qu’on relativise les crimes économiques, politiques ou institutionnels.
Les responsables publics impliqués dans des scandales de corruption reçoivent souvent des peines légères, bénéficient de remises de peine anticipées, ou sont discrètement réintégrés dans la vie publique. À l’inverse, les petits trafiquants ou les complices supposés sont condamnés sans appel.
Cette asymétrie nourrit un sentiment d’injustice profond, au sein même de la société indonésienne, où la pauvreté reste criminalisée tandis que les puissants jouissent d’une impunité de fait.
Punir pour montrer : les dérives de la justice pénale
Le cas de Serge Atlaoui, bien qu’il ait bénéficié d’un large soutien international, est emblématique de cette logique. Il montre comment la justice peut se transformer en instrument de communication politique.
Il témoigne aussi de la fragilité des garanties juridiques dans un système où l’exemplarité prime parfois sur l’équité. Sa peine a servi à conforter une image d’autorité et de souveraineté face aux critiques venues de l’extérieur, notamment de pays abolitionnistes comme la France.
Contre l’illusion de la justice par le sang
Dans ce contexte, la lutte contre la peine de mort apparaît plus urgente que jamais. Elle ne concerne pas seulement le droit de punir, mais aussi le sens que l’on donne à la justice et à la dignité humaine.
La peine capitale, irréversible et arbitraire, est l’expression ultime d’une hiérarchie des vies, où certains peuvent être sacrifiés pour le maintien de l’ordre ou la préservation de l’image d’un État. Elle n’a jamais empêché le crime, mais elle empêche toujours le pardon.
Derrière un cas emblématique, l’oubli des condamnés anonymes
La libération conditionnelle de Serge Atlaoui ne doit pas faire oublier celles et ceux qui, moins médiatisés, croupissent encore dans les couloirs de la mort.
Elle ne saurait non plus masquer les dysfonctionnements d’un système qui punit les faibles avec rigueur et épargne les puissants avec indulgence. Tant que cette logique prévaudra, l’Indonésie ne pourra prétendre incarner un véritable État de droit.
Penser la justice au-delà de la punition
Cette affaire nous rappelle que la justice ne se mesure pas seulement à la sévérité des peines, mais à leur cohérence, à leur équité, et à la capacité des institutions à reconnaître que toute vie humaine, quelle que soit sa faute, mérite d’être défendue.
La libération d’un homme ne suffira pas à réparer un système fondé sur le déséquilibre. Mais elle peut, si l’on y prend garde, rouvrir un espace pour penser autrement la justice, au service de la vie plutôt que de la vengeance.