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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 18 juillet 2025

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Indonésie : corruption endémique, un fléau qui ébranle le pays

L’Indonésie, malgré son dynamisme économique affiché, est paralysée par une corruption omniprésente qui sape ses fondements. Affectant tous les secteurs, ce fléau fragilise la démocratie, alimente les inégalités et compromet la cohésion nationale. Derrière les discours officiels, la corruption demeure le danger principal qui guette le pays.

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Indonésie : corruption endémique, un fléau qui ébranle le pays

En 2024, l’Indonésie se classe au 99ᵉ rang sur 180 pays dans l’Indice de perception de la corruption publié par Transparency International, juste derrière l’Éthiopie, avec un score préoccupant de 37 sur 100.

Ce classement n’est pas qu’un simple chiffre : c’est le signal d’alarme d’un mal profond, qui s’est enraciné dans chaque recoin des institutions publiques. 

La corruption n’est plus un dysfonctionnement marginal, mais une véritable plaie chronique qui affaiblit l’État, ruine la confiance des citoyens et étouffe les espoirs d’une société juste et démocratique.

Les faux ennemis : détourner l’attention pour mieux régner

Depuis des décennies, les gouvernements indonésiens ont stigmatisé les mouvements séparatistes et les prétendues menaces d’extrémisme idéologique — qu’il s’agisse du communisme, de l’islam radical ou encore de l’intellectualisme critique assimilé à de l’antipatriotisme — en les érigeant en périls majeurs pour l’unité nationale.

Cette posture est un écran de fumée délibéré : le véritable poison, la corruption, est soigneusement relégué au second plan. Pourtant, elle s’immisce dans tous les secteurs, de la justice à l’éducation, de la santé aux infrastructures, corrompant les principes mêmes sur lesquels repose la société.

Dans un pays qui se réclame du Pancasila, fondé sur la justice sociale et la croyance en un Dieu unique, la corruption constitue un reniement fondamental. C’est un véritable sacrilège contre l’État et la société. 

Les chiffres de l’horreur : des milliards détournés

Au cours de la dernière décennie, les principaux scandales de corruption en Indonésie auraient causé des pertes estimées entre 560 et 580 trillions de roupies, soit environ 35 à 40 milliards de dollars américains.

Pour sa part, Indonesia Corruption Watch (ICW) estime que la corruption aurait coûté à l’État indonésien près de 290 trillions de roupies — soit environ 19 milliards de dollars — entre 2014 et 2023.

Ce chiffre, déjà alarmant, ne tient pas compte des effets indirects : ralentissement de la croissance, désengagement des investisseurs, affaiblissement des institutions, et creusement des inégalités sociales. Le coût réel pour la société indonésienne est donc bien plus élevé que les seules sommes détournées.

Dans le domaine des infrastructures, les projets fictifs et les détournements de fonds rendent les dépenses publiques inefficaces. Par ailleurs, à l’échelle locale, le « mahar politique » — une somme d’argent que les candidats doivent verser pour obtenir un soutien ou un poste — oblige les élus à « acheter » leur mandat. Cela crée un cercle vicieux d’extorsion, car ils cherchent ensuite à récupérer cet argent, souvent au détriment des citoyens.

Dans l’éducation et la santé, les fonds dilapidés privent des millions d’individus de leurs droits fondamentaux. Et dans la police ou la justice, la corruption dévoie l’équité, rendant le système injuste et clientéliste.

Des scandales emblématiques, symboles d’une impunité généralisée

Le projet e-KTP, qui devait moderniser l’identité numérique des citoyens, a été marqué par un détournement de plus de 2 000 milliards de rupiah.

ASABRI et Jiwasraya, institutions financières publiques, ont perdu plus de 23 000 milliards, révélant un système gangrené par le manque de transparence.

Depuis 2014, sous la présidence de Jokowi, six ministres ont été accusés de corruption dans des dossiers touchant l’énergie, le sport, la pêche, l’aide sociale Covid-19 et les télécommunications. Plus récemment, l’ancien ministre de l’Agriculture a été accusé de détournement de fonds à des fins personnelles, témoignant de l’impunité persistante des élites corrompues.

Malgré leur condamnation, ces hauts responsables bénéficient d’un confort certain en prison — un secret de polichinelle — et n’ont jamais été véritablement appauvris.

La corruption, plus dangereuse que les séparatismes

Pendant ce temps, l’Indonésie dépense chaque année des milliards de dollars pour son budget de défense, tandis qu’une grande partie de sa population continue de vivre dans la pauvreté : environ 68 % des Indonésiens vivent dans une situation de vulnérabilité sociale et économique.

En 2025, les dépenses militaires de l’Indonésie atteignent environ 165,2 trillions de roupies, soit près de 10,6 milliards de dollars américains, marquant une hausse significative par rapport à l’année précédente. Ces dépenses sont justifiées par la nécessité de maintenir l’unité nationale face aux menaces extérieures et aux mouvements séparatistes, notamment en Papouasie.

Or, l’Indonésie n’est militairement menacée par aucun pays. Quant au séparatisme papou, les recherches de l’Institut indonésien des sciences (LIPI) montrent que les tensions trouvent surtout leur origine dans la mauvaise gouvernance, le racisme structurel et la négation des droits historiques du peuple papou, plutôt que dans une réelle volonté de sécession.

Cette réalité est en décalage avec la rhétorique officielle, comme en témoigne la déclaration en 2024 du président Jokowi affirmant que « la Papouasie va bien à 99 % », alors même que les violences militaires continuent de s’intensifier sur le terrain.

Corruption et inégalités : un terreau fertile pour le chaos social

En Indonésie, la corruption exacerbe les inégalités : 1 % de la population concentre plus de 45 % des richesses.

Ce déséquilibre nourrit la défiance envers les institutions, attise les frustrations, et fait croître les extrémismes, menaçant directement la cohésion nationale.

Plus que les revendications séparatistes ou les troubles idéologico-religieux, c’est cette corruption endémique qui met la République à genoux.

L’avertissement de Prabowo : prophétie ou réalité ?

En 2017, Prabowo Subianto, alors opposant, prévenait qu’une crise majeure pourrait précipiter l’effondrement de l’Indonésie d’ici 2030. 

À présent, ce sombre pronostic semble se confirmer : l’autoritarisme progresse, la Commission pour l’éradication de la corruption (KPK) est affaiblie, et l’impunité tend à devenir la norme.

L’ironie tragique veut que Prabowo tienne aujourd’hui les rênes d’un pouvoir qu’il dénonçait autrefois, tandis que les dérives qu’il redoutait se concrétisent désormais sous sa propre autorité.

Conclusion 

La corruption en Indonésie n’est pas un mal isolé ni lointain. Elle résonne avec nos propres défis, en France comme ailleurs. La lutte contre ce fléau est une urgence démocratique, un combat pour la justice et la dignité humaine.

Citoyens, médias, responsables politiques : nous avons tous un rôle crucial à jouer. La vigilance, la transparence et la responsabilité ne sont pas de simples mots, mais les armes indispensables pour briser les chaînes de la corruption.

C’est un appel à l’action collective. Il est grand temps de rejeter l’impunité et de bâtir un avenir où l’égalité et la justice ne sont pas de vains idéaux, mais une réalité tangible pour chaque peuple, ici et là-bas.

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